Pionniers du tourisme : la fascinante histoire de Mireille Rosenberger
26 mars 2020 Serge Fabre 3 commentaires People Akiou, Ethiopie, Henri de Montfreid, Ikhar, Mireille Rosenberger 5650 vues
Mireille Rosenberger est une personnalité incontestable du tourisme français. Créatrice et Directrice générale du voyagiste Ikhar puis longtemps Directrice de production pour Asie Tours et Akiou, elle nous livre ici un des volsts de ses récits de voyages au long cours, destinés à vous distraire pendant ce confinement obligé. La Quotidienne, où elle ne compte que des amis, lui offre volontiers ses colonnes. Voici son récit :
« Voyage dans la Corne de l’Afrique en mars 1974. J’avais 27 ans.
Les romans d’Arthur Rimbaud et d’Henri de Montfreid avaient tellement aiguisé mon imaginaire que je n’ai pas tardé à trouver comment mettre mes pas dans les leurs lorsque plongée dans mes atlas, je découvris l’existence d’une liaison ferroviaire entre Djibouti et Diré Dawa près de la mythique ville éthiopienne de Harar.
Je travaillais à l’époque dans une agence de Voyages parisienne, spécialisée sur les voyages en Asie et donc pour ce rêve d’Afrique, il fallait que je me débrouille par moi-même pour trouver le moyen le plus économique pour élaborer mon plan.
A cette époque les agents de voyages pouvaient bénéficier de réductions sur les billets d’avion pour les destinations de la zone IATA, (internationales) mais même avec les réductions, les billets restaient bien trop chers pour un petit agent de comptoir d’agence de voyage.
Par contre dans la zone ATAF, autrement dit dans la zone de territoires d’Outremer de la France, la gratuité des billets était possible mais sans réservation à savoir que si le vol était complet on pouvait être débarqué, comme cela m’est arrivé des années plus tard un jour lors d’une escale à konakry en rentrant d’Abidjan.
En 74, Djibouti capitale du Territoire Français des Afars et des Issats (devenu République indépendante en juin 1977) se trouvait donc encore en zone ATAF !!! d’où justement partait le train qui me rapprocherait d’Harar.
Commandé à la Suisse par le Negus, l’empereur Menelik II en 1896 mais traversant les territoires français il fût baptisé chemin de fer franco-Éthiopien et nationalisé éthiopien.
Reliant Djibouti à Diré Dawa (380 km) , la prolongation jusqu’à Addis-Abeba fut terminée en 1927 soit un parcours d’une longueur totale de 784 km s’effectuant sur une voie unique avec un énorme dénivelé passant du niveau de la mer Rouge à la région des Plateaux d’Addis à plus de 2200 mètres d’altitude.
En mars 1974, les manifestations commençaient à gronder en Éthiopie, les grèves se succédaient. Le renversement de l’empereur Haile Selassie (1892-1975 ) arrivé au pouvoir en 1930, était en marche. Un coup d’État allait le détrôner en septembre de la même année et le remplacer par le colonel dictateur Mengistu.
La grève affecta le service du train et je dû attendre 3 jours la levée de la grève, bloquée à Djibouti. Je dû réduire mes dépenses de façon drastique à cause du cours du francs CFA dont la valeur était alignée sur celle du dollar mais je profitai tout de même de ce retard pour embarquer sur un boutre jusqu’à l’île coralienne de Moucha à une dizaine de kilomètres au large de Djibouti.
Me baigner dans la mer Rouge et mettre mes pas dans ceux d’Henry de Montfreid qui avait l’habitude de s’y rendre pour cacher les armes dont il faisait le commerce pendant la guerre de 14 comme je l’avais lu dans « les Secrets de la mer Rouge » était merveilleusement excitant.
Je ne voyageais pas seule, j’avais réussi à convaincre mon compagnon, un architecte talentueux et prometteur, de partager l’ aventure.
Quand enfin le service du train pu reprendre, je fus surprise en découvrant le luxe du vaste wagon-salon de première classe dans lequel on nous installa…
La cabine totalement plaquée de boiseries précieuses possédait 2 lits-couchettes pouvant se relever dans la journée, deux confortables fauteuils « Recamier » recouverts de velours, et un cabinet de toilette.
A notre grande stupéfaction, le chef de gare nous enferma de l’extérieur afin de nous protéger des bandits de grands chemins, à savoir les Issats et les Danakils lors de la traversée du Territoire des Afars et des Issats avant de rentrer en Éthiopie.
Je me souviens de ce long voyage qui dura plus de de 14 heures …la vitesse du train ne dépassait jamais les 60 km/heure dans la partie désertique et caillouteuse de la première partie du voyage et pas plus de 30 km voire même moins lorsque nous arrivâmes dans la région des hauts plateaux et que nous empruntions des ponts suspendus entre des gorges étroites.
A chaque arrêt des paysans se précipitaient brandissant leurs marchandises vers nos fenêtres (mangues, oignons, galettes de mil, piments, viande séchée de chèvre.. .)
Avant chaque redémarrage, des policiers armés de gourdins inspectaient le dessous des wagons chassant violemment les vendeurs clandestins qui s’y accrochaient pour aller vendre leurs légumes au marché de Diré Dawa…
De Diré Dawa, une grande ville moderne à 1200 mètres d’altitude qui s’est développée à la création du chemin de fer, il nous fallut trouver un taxi-brousse pour rejoindre Harar la mythique cité située à une quarantaine de kilomètres et perchée à plus de 1800 mètres sur un plateau aux flancs couverts de cultures de Qat en terrasses et de caféiers.
Harar se développa dès le VIIème siècle lors des invasions musulmanes et contrairement aux autres villes d’Éthiopie et d’Abyssinie chrétienne, l’islam y prospéra au point qu’avec ses 80 mosquées elle est souvent considérée comme la 4ème ville sainte de l’islam.
Important carrefour des caravanes vers la Côte des Somalie et Zanzibar, indépendante pendant plus de trois siècles, elle tomba sous domination égyptienne et l’était encore lorsque Arthur Rimbaud, l’homme aux semelles de Vent, en fit son port d’attache durant les 10 dernières de sa vie lorsqu’il faisait son négoce d’Ivoire et vraisemblablement d’armes entre 1880 et 1890.
Près d’un siècle plus tard Henry de Montfreid ( 1879-1977) s’installa à son tour à Harar où il reprit plusieurs affaires dont une usine d’électricité et une fabrique de pâtes ce qui ne l’empêchait pas de poursuive ses expéditions sur les côtes de la mer Rouge jusqu’au Yémen.
Voilà donc à quoi j’allais consacrer la semaine que j’allais passer à Harar.. En plus d’arpenter les ruelles étroites, d’admirer l’architecture de cette vieille cité arabe, de passer des heures sur les marchés où se croisaient toutes les, ethnies de la région, il me fallait retrouver les demeures où vécurent ces deux aventuriers dont les récits avaient bercé les rêves de mon adolescence afin de me mener jusqu’ici …
La ligne du chemin de fer Djibouto- Éthiopien à voie unique fût définitivement fermée en 2010.
Les Chinois ont ré-ouvert la ligne en 2016 avec une double voie complètement électrifiée reliant en 10 heures les 750 km qui séparent Djibouti d’Addis Abeba en 10 heures.
Des travaux considérables qui ont duré plus de 5 ans et employé plus de 10 000 ouvriers sous le contrôle de contremaître et ingénieurs chinois.
Mon dernier Job, c’était Ikhar que j’ai fondé au sortir de la guerre du golfe en 91 et que j’ai dirigé une dizaine d’années avant de céder ma florissante entreprise à Antoine Paucot et au groupe Dedahl, ensuite J’ai continué à créer quelques voyages très exclusifs en free lance que j’accompagnais en tant que conférencière jusqu’en 2010″.
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3 commentaires pour “Pionniers du tourisme : la fascinante histoire de Mireille Rosenberger”
Je ne connaissais pas ce passé ethiopien de Mireille. D autant plus interessant que j ai vécu en Ethiopie et que j ai moi meme pris ce train!
Quelle magnifique histoire !
Cela fait du bien en ces temps difficiles ! Merci
Du temps où le tourisme était une belle activité, qu’en reste-il aujourd’hui ? Bravo Madame , j’aurai aimé vous rencontrer sur l’Altaïr.
Bonne retraite et beaux voyages après cet autre virus