Pourquoi il ne faut pas interdire la géolocalisation ?


PIERRE PEYRARD - Directeur général de TAXILOC - IMG_0785Afin de garantir des conditions de concurrence équilibrées entre les différents modes de transport de personnes de moins de dix places le rapport Thévenoud détaille trente propositions qui font aujourd’hui l’objet de débats animés, notamment parmi les chauffeurs de taxi.

Sur le thème de la géolocalisation, des propositions présentées aux Ministres Montebourg et Cazeneuve qui mériteraient d’être approfondies sur le fond d’une part et détaillées dans leur forme d’application d’autre part, suscitent beaucoup d’interrogations.

Il est important pour permettre aux chauffeurs de taxi d’être éclairés sur les enjeux, confiants, rassurés, de disposer d’informations précises sur ce sujet.

Il est tout aussi important pour eux mêmes, les clients et l’opinion publique, de comprendre pour quelles raisons il est plus pertinent d’aller dans le sens de la modernité pour tous les acteurs du marché, que dans celui d’une interdiction pure et simple de la géolocalisation imposée aux utilisateurs actuels hors du périmètre taxi.

Car cette interdiction aurait au final un effet concret incertain voire même quasi nul. Pire en plus de son inefficacité l’interdiction irait à l’inverse de l’objet recherché.

Je ne reviendrai pas sur le néologisme « maraude électronique » sur lequel je me suis déjà exprimé.

Précisons toutefois encore ici qu’afficher la position de VTC directement susceptibles d’être sollicités en situation de mobilité par un client sur son smartphone, qui plus est sans calculer le prix d’une prestation de transport réservée pour aller d’un point A à un point B, reviendrait de fait à mettre les chauffeurs privés en situation d’infraction à la réglementation taxi.

La coresponsabilité de l’éditeur d’application doit être systématiquement recherchée et établie le cas échéant, c’est d’ailleurs l’une des propositions du rapport Thevenoud. (proposition 13).

Osons néanmoins briser un tabou : « Peut-on efficacement interdire la géolocalisation ? ».
La réponse est non. Je vais développer mon propos.

Question subsidiaire :« Est-ce souhaitable ? »
La encore non, bien au contraire, j’y reviendrai plus loin.

geolocalisation-taxis-vtc-Aujourd’hui de simples dispositifs miniatures installés sur le connecteur après contact d’un véhicule enfouis sous le tableau de bord permettent de géolocaliser efficacement de façon « discrète ». Il n’est point besoin de smartphone visible sur le pare-brise, ou le tableau de bord pour être géolocalisé !

Même une TPE exploitant un seul véhicule peut s’offrir la géolocalisation sans aucune difficulté technique avec très peu de moyens financiers…

Dans ces conditions il est purement illusoire de considérer que l’on pourra contrôler efficacement cette interdiction.

D’autre part, dès lors que l’usage de la géolocalisation serait conforme à la Loi, pourquoi l’interdirait-on ?

L’objet principal de la géolocalisation, c’est notamment la réalisation de gains de productivité dans l’activité mobile du chauffeur mais aussi au service du client.
C’est justement ce qui est souvent reproché sous couvert de l’argutie réglementaire aux éditeurs d’applications et autres exploitants de plateformes numériques : la performance de l’organisation du transport.

Pour certains, il n’est nul besoin de représenter des véhicules sur une cartographie mobile. Et pourtant le succès commercial de l’entreprise en question est bien là…

taxi-vtc-geolocalisationPour imager mes propos, il serait bon enfin de considérer qu’à l’ère du TGV, on ne peut pas exiger de tous ses concurrents transporteurs ferroviaires de n’exploiter que des machines à vapeur ! Et ce au motif qu’ils ne payent pas les mêmes charges d’exploitation, ou que le privilège de prendre en charge la clientèle au dernier moment en gare ne leur appartient pas !

Osons l’écrire : Comme elle est curieuse si ce n’était suspecte cette attitude qui ne chercherait même pas à contrer l’innovation par une innovation encore meilleure…

Dans ces conditions qui peut interdire la géolocalisation si le caractère déloyal de la concurrence n’est pas explicitement établi ?

Au plan légal, les taxis s’exposeraient une nouvelle fois à une saisine du Conseil d’Etat par les éditeurs d’applications VTC qui n’auraient aucune difficulté à retoquer ce nouveau décret.

S’il s’agissait d’un article d’un projet de Loi, le Gouvernement prendrait un risque énorme de voir cet article qualifié d’anticonstitutionnel. Et les taxis y perdraient là encore davantage : A une mesure inefficace on associerait l’image d’une profession « rétrograde » qui s’opposerait à l’usage des outils modernes pour autrui et leur serait exclusivement réservés !

Ce qui pose véritablement question, ce n’est pas la géolocalisation elle-même, mais l’usage que l’on en fait.

C’est la raison pour laquelle il est important pour mettre tout le monde d’accord d’exiger par la Loi, qu’en plus d’un smartphone à usage privé d’un chauffeur permettant de capter des courses, tous les véhicules de tous les professionnels du transport public, taxis, VTC, véhicule d’un chauffeur exerçant sous le régime de la LOTI soient géolocalisés en permanence, et ce non pas par l’usage justement du smartphone « mobile » du chauffeur, mais idéalement par celui d’un dispositif fixe enfoui, entre le tableau de bord et la batterie contrôlé par l’Etat. Le coût d’une telle mesure peut-être parfaitement financé pour moins d’un euro par jour par chauffeur.

Ce dispositif installé dans chaque véhicule serait connecté sur les serveurs d’une plateforme unique de géolocalisation administrée par les pouvoirs de tutelle scindée en deux parties :
Cette plateforme alimenterait donc d’une part « l’open-data » taxi ayant fait l’objet de la « proposition 1 » à l’initiative de Nicolas Colin dans le rapport Thevenoud.

Et, pour la deuxième partie, ces données de géolocalisation recueillies à partir de tout autre véhicule (VTC ou transporteur de personnes) seraient réservées exclusivement à l’usage strict des pouvoirs publics chargés du contrôle de la conformité aux règles de concurrence de l’activité transport, ainsi que de la sécurité publique.
Ce n’est pas de moins de géolocalisation dont les taxis et l’Etat ont besoin. C’est de plus de géolocalisation pour eux mêmes, les clients, et le contrôle efficace par la tutelle des conditions de concurrence de tous les agents économiques du transport public de moins de dix personnes ! La traçabilité en temps réel, la conservation des données pendant deux mois en conformité avec la CNIL permettrait même de trancher à posteriori des litiges !

A partir de cet état de fait, l’obligation de géolocalisation facile à vérifier sur un smartphone par les Boers, tout autre agent de l’Etat assermenté au contrôle, ou les clients eux-même, serait donc un gage de sécurité et de transparence.

Pour conclure, il n’y a pas de concurrence loyale sans contrôle efficace.

La toute nouvelle « intersyndicale nationale » où sont représentés notamment les intérêts privés de grandes centrales radio mériterait de méditer ceci :
Là où l’opacité des données privées aiguise les doutes, la transparence publique assure la confiance du fournisseur et du consommateur.

C’est pour cela que plutôt d’exiger « l’interdiction de la géolocalisation » comme elle le préconise dans ses conclusions (notre document), il faudrait au contraire la rendre… « obligatoire et contrôlée ».

L’idée développée par Nicolas Colin est non seulement bonne, garante de l’intérêt général, mais elle mériterait d’être approfondie et développée afin d’atteindre un objectif encore plus ambitieux.

A moins qu’elle ne soit là encore victime…. de « fossoyeurs de l’intérêt général » ?

Pierre Peyrard
Directeur Général de Taxiloc





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