Le grignotage de l’Europe dans l’air


baroux-1Il fut un temps, pas si lointain, où les compagnies européennes dominaient le transport aérien international, alors que les transporteurs américains se concentraient sur la desserte de leur propre pays.

En ce temps-là, disons il y a 25 ans, les transporteurs du Golfe se réduisaient à un Gulf Air multinational sans grande ambition et à Kuwait Airways concentré sur son pays. Les temps ont bien changé.

Depuis les 10 dernières années, non seulement les européens ne gagnent plus de terrain mais ils en perdent régulièrement. En Europe et dans le monde.

Ils sont maintenant attaqués au cœur même de leur activité. Incapables de survivre dans un univers où la concurrence est débridée, ils sont contraints de se faire racheter par des transporteurs étrangers. C’est ainsi que les compagnies du Golfe grignotent peu à peu le transport européen.

A tout seigneur, tout honneur, Etihad Airways, largement soutenue par son gouvernement qui lui accorde des prêts sans intérêt remboursables au mieux dans 10 ans, s’est lancée dans la brèche.

En moins de 3 ans, elle a acquis 29 % d’Air Berlin, 33 % du suisse Darwin, maintenant rebaptisé Etihad Regional, 49 % d’Air Serbia et 49 % d’Alitalia, excusez du peu. Et même si en théorie les capitaux étrangers ne peuvent pas détenir la majorité des compagnies en Europe, cela ne les empêche pas de dicter leur loi.

C’est ainsi qu’Air Berlin et Alitalia sont sortis de l’AEA, l’association des grandes compagnies européennes et que le programme d’exploitation est progressivement détourné pour alimenter les « hubs » du Golfe au détriment des plateformes de notre chère Europe.

D’ailleurs qui dit que la compagnie d’Abu Dhabi ne sera pas appelée un jour à la rescousse d’Air France/KLM ?

Mais Etihad n’est pas la seule. Qatar Airways vient de prendre une participation de 9,5 % dans le groupe IAG qui détient British Airways, Iberia et Vueling.

On peut d’ailleurs légitimement s’interroger sur les motivations de Willie Walsh le CEO de IAG en faisant entrer le Qatar dans son capital. Après tout, après de prodigieux efforts, le groupe est redevenu profitable et il n’a en théorie pas besoin d’apport de capitaux étrangers.

Soyons attentifs à ce qui va ressortir de cette collaboration, en notant au passage qu’IAG est pour l’essentiel concentré sur l’axe transatlantique nord et sud et l’ Europe. Qatar Airways viendrait à point pour ouvrir des perspectives sur l’Asie Pacifique.

Emirates, pour avoir une stratégie différente : pas d’alliance, pas de participations, n’en est pas moins très intéressé par le marché européen. Mais pour cela il devra obtenir les fameux droits de 5ème liberté qui permettent d’exploiter des lignes entre l’ Europe et les Etats Unis.

La bagarre sera sans doute très dure, mais les arguments de part et d’autre ne manquent pas.

Du côté européen, il s’agit de défendre les compagnies historiques tandis qu’Emirates fera certainement valoir le fait que sans ses commandes, Airbus serait dans une très mauvaise posture. Que vont peser quelques droits de trafic en face des énormes avantages commerciaux et industriels dont bénéficie le constructeur européen ?

Même les Chinois s’intéressent aux compagnies européennes, non pas pour leur valeur intrinsèque mais pour les perspectives que cela leur ouvre. C’est ainsi qu’Hainan Airways a pris une très forte participation dans le français Aigle Azur, en lorgnant certainement sur les droits dont cette dernière dispose entre l’Europe et le continent africain.

En face de cette offensive, quelle est la riposte des européens ? Rien, tout au moins rien de visible pour le moment. Aucune prise de participation significative dans un transporteur étranger à l’Europe n’est annoncée. Aucune vision stratégique n’est affichée. Pas plus par Air France/KLM que par Lufthansa, ou SAS, voire même par Aeroflot.

La seule en phase dynamique est Turkish Airlines, mais est-elle européenne ou tout simplement turque ?

Si nous n’y prenons pas garde, le transport aérien européen passera dans des mains étrangères. Ce ne sera peut-être pas un mal pour les clients, car après tout le choix de tel ou tel transporteur est entre leurs mains, mais ce sera certainement une perte d’influence de l’Europe. Voilà qui est peu quantifiable mais qui à long terme à des effets négatifs considérables, non pas seulement vis-à-vis du transport aérien mais de l’économie tout entière.

La France a déjà perdu la bataille de la langue, l’Europe ne doit pas perdre celle du transport aérien.

Jean-Louis BAROUX





    1 commentaire pour “Le grignotage de l’Europe dans l’air

    1. Nous entrons dans une nouvelle ère, où le transport aérien sera de moins en moins représentée par des transporteurs nationaux aux corporatismes archaïques, vitrines un peu surrranées du « monde ancien ». Souhaitons leur le courage de devenir ce qu’on attend d’elle, être des vecteurs d’échange économique, de mobilité et d’art de vivre. Dès lors qu’une compagnie comme Emirates emploie, directement ou indirectement, à Dubai, chez les sous-traitants d’Airbus à Toulouse, ou dans le vignoble champenois des français, et en plus gtrand nombre que le reste du secteur n’en détruit, il ne faut pas avoir peur de cette mutation… mais au contraire, l’encourager.

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