Quel avenir en Europe face à l’appétit des compagnies du Golfe ?


Comment comprendre l’engouement des compagnies du Golfe pour les transporteurs européens de préférence en mauvaise santé ? La réponse est probablement dans la composition des flottes des transporteurs. Oublions les compagnies un peu « secondaires » comme Gulf Air et Kuwait Airways et laissons de côté les compagnies du Moyen Orient « continental », je veux parler de Royal Jordanian, Middle East Airlines et Saudia, certes très respectables mais qui ne sont pas rentrées dans le jeu des acquisitions internationales.

Restent les 3 grands opérateurs que sont Qatar Airways, Etihad Airways et Emirates. Les trois réunis opèrent une flotte de 548 appareils de capacité de 180 sièges ou plus, dont seulement 82 courts-moyens courriers et le reste soit 466 en longs courriers.

A titre de comparaison le groupe Air France/KLM met en ligne 354 avions équivalents dont seulement la moitié est constituée de longs courriers. On voit déjà ce qu’un tel outil de production peut transporter, à tel point que les compagnies en question sont maintenant en tête pour la qualité de service et la densité de leurs réseaux internationaux.

Or ces trois-là ont passé les plus importantes, on dirait presque extravagantes commandes d’avions neufs tant auprès d’Airbus que de Boeing. Jugez plutôt : Qatar Airways 201 appareils dont 151 longs courriers, Etihad Airways 175 avions dont 139 longs courriers et Emirates 266, tous en longs courriers. Au total cela fait 642 avions soit une centaine de plus que l’addition des flottes actuelles.

Alors, on se demande bien ce que ces compagnies vont en faire.
Certes il y a l’accroissement du trafic qui est estimé à 5 % par an en moyenne, certes aussi, un certain nombre d’appareils, les plus anciens, seront revendus et il est possible que dans les contrats d’achat, les constructeurs se soient engagés à en reprendre un certain nombre, mais enfin la capacité de production des compagnies du Golfe va augmenter de manière importante au cours des 10 prochaines années.

D’autant plus que les avions actuels ont une durée de vie très supérieure à ceux de la génération précédente, disons 30 ans contre 15 ans auparavant et que la stabilisation du cours du pétrole ne rendra plus aussi intéressante la mise en route des appareils plus modernes et donc moins consommateurs en carburant.

Dans le même temps ces trois acteurs sont confrontés aux mêmes difficultés inhérentes à leur position géographique : un marché national très faible et un environnement politico-diplomatique pour le moins instable. Or ils sont forcés de trouver des débouchés pour leur capacité de production.

L’Asie est un continent très attractif compte tenu de son taux de croissance et du désir forcené des populations de se déplacer, mais les compagnies du Golfe se heurtent aux ambitions des transporteurs nationaux : chinois, indonésiens, malaisiens ou indiens qui défendent chèrement leurs marchés et qui sont capables de produire à ces coûts encore inférieurs à ceux des compagnies du Golfe.

L’Afrique peut aussi être en capacité d’absorber des capacités supplémentaires, mais en nombre tout de même limité, car les marchés de sont pas encore matures et les droits de trafic y seront d’autant plus marchandés avec les transporteurs du Golfe qu’ils se libéralisent entre les Etats
africains. L’Amérique est loin et les Etats Unis sont en train d’élever des barrières pour protéger leur propre transport aérien.

Reste l’Europe. Oh bien sûr, on peut faire confiance aux Etats pour défendre leurs marchés et ne pas laisser entrer des compagnies qui sont bien identifiées comme un danger pour les européens.

Seulement, dans notre continent, le transport aérien est encore en convalescence. L’année 2017 a été bonne et les trois grands transporteurs ont tiré leur épingle du jeu, mais il reste encore nombre de compagnies plus que fragiles. Or celles-ci ont dramatiquement besoin d’être économiquement épaulées et si elles veulent garder leur identité, elles ne peuvent pas s’adosser à leurs concurrents européens. Eh bien elles sont devenues une proie toute trouvée pour les transporteurs du Golfe. Il est en effet possible à ces dernières de prendre jusqu’à 49 % de leur capital et avec ce montant-là,
elles sont en capacité de dicter leurs volontés.

Mais le jeu est dangereux. Etihad en a fait l’amère expérience et la compagnie d’Abu Dhabi est amenée à sortir de l’arène bien qu’elle soit encore collée à Alitalia.

Qatar Airways se lance maintenant en prenant ce qu’il faut bien appeler le contrôle de Meridiana rebaptisée pour l’occasion en Air Italy.
Cela ressemble furieusement à la stratégie développée en son temps, il y a vingt ans maintenant, par Swissair qui pensait obtenir des droits européens en acquérant des transporteurs éligibles.
On a vu le résultat.

Jean-Louis Baroux





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