[1]Un communiqué relevé fin juillet dans la presse professionnelle adressait des souhaits de « bonnes vacances » aux adhérents groupistes de l’APST en leur fixant un bien sympathique rendez-vous pour la rentrée :
« Un permanent va être dédié aux visites chez les adhérents sur le terrain dès le mois de septembre. Ces visites se feront sur rendez-vous ou par surprise », précise le Président dont les groupistes semblent être la cause de ses soucis.
C’est vrai, sans nul doute… il faut adhérer à toutes démarches qui conduisent à débusquer les tricheurs, les pas bons, les « j’m’la pète avec les sous des autres », les « je m’en tape des clients », les « le beurre et l’argent du beurre »…
Il est même peut-être vrai que l’APST ait pour mission souveraine de séparer le bon grain de l’ivraie… et ce concept est hautement respectable si cet organisme professionnel exerce ses pouvoirs pour protéger les intérêts du voyageur et non pas les siens !
Toutefois, s’il est probablement plus commode d’exiger d’autorité une caution personnelle plutôt que de prendre la peine d’éplucher un bilan… il se pourrait qu’il soit bien tard pour venir fourrer son nez dans les comptes quand il y a le feu dans la baraque !
Pour le coup, il serait quand même plutôt judicieux de venir prendre le pouls et la température des autocaristes puisqu’on sait que ces citoyens-là comptent parmi les principaux opérateurs « groupes ».
«On» sera plutôt bien inspiré de présumer de leurs réactions si «on» envisage de diligenter des contrôles dans leur direction.
Dans le cas contraire, les intéressés pourraient bien être un peu agacés en réalisant que leurs principes fondamentaux de rigueur sont carrément imperceptibles depuis l’opulent immeuble parisien de l’avenue Carnot.
On s’est même laissé dire que lorsque l’un d’eux a le culot de décider de s’écarter de cette belle adresse, les foudres de Jupiter lui tombent sur la goule et la presse bien pensante s’empare séance tenante de l’outrage et sème perfidement le doute sur la solidité de l’infidèle… çà craint, non ?
Un problème ? Et bien, oui ! Et faudra donc pas s’étonner si l’ « on » se heurte à des réactions un peu nerveuses en débarquant chez un transporteur « par surprise » avec la gueule enfarinée.
Blague à part, rien que pour rire, supposons que cette visite serve quand même à quelque chose…
Imaginons qu’elle ait le mérite de mettre en lumière l’extrême irritation (doux euphémisme) de tous ces patrons, livrés à la somme incalculable de contrôles de toutes natures dont ils sont déjà l’objet.
Et wouai… dans le monde autocaro-touristique, lorsqu’on soulève le volet « contrôle », on a vite fait de piger que le sujet flirte avec l’indécence, qu’il frôle le harcèlement !
Faut comprendre… et on ne le dira jamais assez, cette branche professionnelle se bouge les fesses… embauche autant qu’elle le peut, investit à qui mieux-mieux dans la plus grande discrétion.
Et ben wouai, malgré ces louables efforts, tous les services de l’administration française se succèdent pour les passer au gril à tour de rôle… probablement une manière élégante de remercier de bons soldats qui se battent pour l’emploi et pour l’économie d’un pays dans lequel, il est vrai, on n’est pas à un paradoxe près.
Alors, les copains, à bon entendeur, salut ! et surtout bon courage au contrôleur, car si c’était le contrôle de trop… çà risquerait de chauffer pour ses fesses !
Des exemples ? À la pelle ! et même si ça vous gave… moi, ça m’soulage !
Car si les J.O. de la persécution contrôlistique existaient dans ce monde d’ingrats, ce job aurait atteint depuis longtemps les sommets du podium.
Allons PR ! Reste tranquille encore une seconde, je t’explique : tout d’abord, ça commence sur la route qui, comme chacun sait, est le territoire de prédilection des autocars… alors, impossible d’échapper à des contrôles aussi impitoyables que réguliers.
Tout ça grâce à un modernisme qui nous a pondu des moyens hypersophistiqués, des systèmes étonnement efficaces mis à la disposition d’une armée de bras cassés, de fonctionnaires dont l’objectif est de faire rentrer du pognon dans les caisses de l’état, sous le couvert fallacieux de bonne gestion de la circulation routière… Tu parles !
Allez, tournez manège : DDT ou DRT, DDE ou… DRE pour les contrôles des temps de travail… Police de la route… Gendarmerie pour la circulation… Douaniers… chacun, tour à tour lève la main au milieu de la chaussée…
Au-delà de tout çà, faut imaginer les regards médusés des passagers d’un autocar face à un képi agressivement planté au « miyeu » de la route… faut penser à ces touristes violemment expulsés de leurs songes et soudainement agressés par un insupportable sentiment de culpabilité… faut se mettre à la place de ces quidams collectivement et injustement arrêtés, ahuris et inquiets, face au spectacle de leur conducteur convoqué à venir faire un tour dans la camionnette bleue, sans raison apparente.
Pendant ces instants interminables, dans leurs petites têtes de voyageurs, çà gamberge dur : retardée la prochaine visite, sucrée la dégustation… décalée l’heure du repas… plombée l’heure d’arrivée à l’hôtel… t’oses même pas imaginer comment les étrangers apprécient ces délicats coucous de bienvenue « si tellement » français… çà, au moins ça fait vraiment partie de notre folklore à nous !
A son retour, notre malheureux chauffeur est interrogé :
« – Mais enfin, qu’est ce qui s’est don’ passé, Jérémie ? »
« – Non mais putain… j’y crois pas… nom du père, nom de jeune fille de la mère, une heure de décorticage… tout ce binz pasque j’ai dépassé de 2 minutes mon temps de conduite hier dans la journée… c’est vraiment tous des enfoirés !»
Mais c’est pas tout… car par la suite, c’est dans le bureau du patron que ça se passe… et là, tous les contrôles sont permis : « on » arrive, « on » s’installe comme chez soi : « on » s’empare des documents pour vérification des cartes d’enregistrement des chrono tachygraphes (boites noires) de toutes les journées de travail de tous les conducteurs, des feuilles de route, des autorisations, « on » questionne, etc…
Et de qui s’agit-il, s’il vous plait ? Qui se cache derrière ce « on » inquisiteur ? Et bien toujours les mêmes : Gendarmerie, Inspection du Travail, Direction de l’Equipement, au choix… pas de bol… où autre dénonciation d’un chauffeur cégétiste… A croire qu’ils n’ont que çà à foutre !
A ce joli programme de vérifications régulières, réjouissantes, imprévues, chronophages (pour le Patron), lucratives (pour l’état), s’ajoutent toutes les « chances » d’un contrôle des douanes, des services fiscaux, de l’URSAAF, de la DGCCRF (concurrence et prix), de la DRIRE… etc., etc… cette liste n’étant nullement exhaustive !
Ces contrôles n’exonèrent même pas le transporteur du plaisir de faire des déclarations régulières aux services préfectoraux, feuilles de routes de l’AFTRI, à ceux de l’APST, d’Atout France ou autre YATA… Alors, comme tu viens de le dire très justement à voix basse, le contrôle pour ces patrons-là, c’est en soi un second vrai boulot à temps complet… sauf qu’il n’est pas rémunéré !
Faudrait faire gaffe, car cette liste de CEM* non exhaustive pourrait bien finir par décourager même le plus solide dans notre belle France qui clame avec tellement d’assurance son magnifique slogan mensonger : « liberté, liberté chérie » … Y’a pourtant pas besoin de sortir de l’ENA, des Ponts ou de Saint-Cyr pour comprendre qu’à force de tout vouloir contrôler, ils finiront bien par toutes les démolir ces petites entreprises…
Et c’est d’ailleurs comme çà que toutes ces jolies petites boites sont une à une livrées en pâture à de grands groupes qui eux, curieusement, développent une parfaite aisance pour passer entre les gouttes… question de taille ?
Peut-être pas seulement, lorsque l’on observe de plus près le fonctionnement des petites entreprises de voitures de grande remise (EVTC), fraichement immatriculées par AF, et qui ne se gêne pas pour circuler avec quelques fois 8 passagers sans aucune restriction de timing, sans contrôle du temps de travail !
On pourrait supposer que monsieur Audiard interrogé sur le sujet aurait déclaré que ces anguilles-là sont « ce que les poissons volants sont à l’espèce marine »… insaisissables ?
En tout cas, pour revenir à notre malheureux contrôleur, il y a certes peu de chance de prendre une chevrotine de gros sel dans le postérieur, sachant qu’il sera quand même la victime virtuelle du vieux fantasme de tirer dans l’arrière train d’un fonctionnaire.
Quand même, faudra bien commencer par nous expliquer qu’est-ce qu’on vient contrôler, qu’est-ce qu’on pourra tirer comme informations et pour en faire quoi ! Mais ça sera probablement le communiqué de la rentrée !
Jean Pierre Michel
(A suivre)
*CEM : Coefficient d’Emmerdements Maximum