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Bras de fer monétaire et stratégie touristique pour Fram

FRAM connaît l’une de ces fins lamentables au goût si fort qu’on en tousse. La pilule est d’autant plus dure à digérer qu’elle résumerait presque à elle seule les raisons de notre déconfiture nationale. Une vraie métaphore, une parabole hautement symbolique de l’état de la France en 2015…

Absence de vision stratégique, carence dans les décisions politiques, des leaders déconnectés du monde, « peopolisation » des conflits internes, égotisme tout aussi effréné que celui de nos élites politiques et qui frise la « trahison des clercs ».

Ici, le chagrin pourrait laisser place à la colère… Surtout que le gouvernement n’a rien fait pour conserver à la France la dernière entreprise franco-française d’envergure.

Au temps de Sarkozy, on a sauvé de la faillite la société de production de Luc Besson pour plusieurs centaines de millions €, tandis que là… contribuer au rebond de FRAM, c’est trop lourd… ?

Bonjour les « priorités nationales ».

Mais la colère est toujours mauvaise conseillère quand la vie doit continuer.

Comme le dit la bible : «tout royaume divisé contre lui-même périra». «Alea Jacta est ! » conclurait notre confrère le sénateur Lucius le Grand.

FRAM était divisé, FRAM a péri. C’est bien noté. Au moins, aura-t-on éviter le dépôt de bilan, et la honte qui va avec.

L’important maintenant, c’est de comprendre pourquoi HNA s’intéresse à un TO français exsangue, fût-il le plus bel étendard d’un monde perdu ?

Dans cette histoire, le marché français est secondaire. Certes, il est plutôt «morose » mais, pour ce mastodonte asiatique, acheter 10 M € une entreprise, en ajouter 30 pour la restructurer, restaurer sa trésorerie et la relancer sur le marché, reste une opération bégnine.

Quand on est assis sur un chiffre d’affaires de 25 Mds $, on peut d’ailleurs doubler la mise à tout moment… Et ce n’est pas Plein Vent, si bien conduit qu’il soit, qui change grand chose à l’affaire.

C’est donc ailleurs qu’il faut chercher la réponse à notre question, en Chine principalement.

Pour le moment, les Chinois, comme les Russes, les Indiens, les Brésiliens et d’autres encore, reçoivent des dollars en échange de leurs exportations et les convertissent aussitôt en bons du Trésor américain.

Mais, tous ces pays émergents sont aussi déterminés à créer une monnaie de réserve concurrente au dollar, pour peser davantage dans les décisions des grandes institutions financières internationales.

Selon l’économiste James K. Galbraith, si l’on veut contester aux USA leur « rôle de fournisseur mondial des actifs financiers de réserve », il faut « vendre ses bons du Trésor et acquérir des actifs en euros ou dans une autre monnaie » ; ce qui fera immanquablement chuter le dollar.

Quand on dispose comme la Chine de 3 500 Mds $ de réserves en devise, il faut donc agir sans effrayer les bourses et investir progressivement dans des actifs apparemment sans liens entre eux, que ce soit des entreprises ou de l’or, pourvu que ces acquisitions restent valorisables et négociables lorsque le dollar commencera à baisser.

Discipliné, HNA, comme de nombreux groupes, chinois fait donc ses emplettes partout en Europe, et en France notamment, avec le soutien actif de leur gouvernement.

Aigle Azur, Swissport, Louvres Hôtels, aéroport de Toulouse, Club Med et maintenant FRAM… Sur le secteur touristique, le puzzle n’a pas besoin d’être complet pour comprendre que les Chinois sont à l’offensive. Rappelez-vous, c’est HNA qui est venu chercher Selectour-Afat… pas l’inverse.

Pourtant, dans ce bras de fer monétaire, rien n’empêche d’être efficace à plus court terme.

Dans le cas précis de FRAM, il s’agit dans un premier temps de contrôler les flux de clients et d’argent : c’est le meilleur moyen de maîtriser un jeu qui n’est pas seulement franco-chinois mais qui, à travers le TO, peut ensuite étendre ses ramifications au sud de la Méditerranée et en Europe du sud, en Grèce notamment, où justement les Chinois rachètent aussi des ports.

Au passage, HNA fait d’une pierre deux coups : en épaulant Selectour-AFAT à peu de frais, il lui permet de faire pression sur des compagnies aériennes comme Air Med, et sur de nombreux TO ; ceux du TOP 14 au premier chef.

On voit mal par exemple, pourquoi Aigle Azur n’accorderait pas la priorité aux demandes de FRAM dans la répartition de ses capacités…

Dans un deuxième temps, FRAM dispose d’un savoir-faire technique sur des produits porteurs, comme les clubs ou les circuits. Pour HNA, celui-ci est immédiatement exploitable sur le marché domestique chinois où l’État va devoir développer sa consommation intérieure s’il veut garder le contrôle de sa population et de sa croissance économique.

La Chine fait ses 30 glorieuses ! L’usine du monde est en train de fermer ; l’heure est à la classe moyenne, à la capacité domestique de consommer qui monte avec les salaires. Un temps idéal pour des experts du mass-market comme le personnel de FRAM.

Dans un troisième temps, la France étant une destination très prisée des Chinois, ces multiples investissements leur permettront de peser sur le gouvernement français, ne serait-ce que pour la sécurité de l’accueil touristique à Paris, par exemple.

Enfin, à plus long terme, pourquoi ne pas renforcer ensuite l’actif acheté en arrangeant un mariage intelligent avec une structure indépendante et dynamique qui viendrait étoffer le maillage chinois sur le tourisme européen…

Si l’on en croit le site espagnol, ABC.es Economia, HNA serait déjà en discussion avec Globalia pour le rachat d’Air Europa…(www.abc.es/economia/20150708/abci-compra-europa-china [1])

Pourquoi donc se contenterait-il de FRAM en France ?

Si l’affaire Havas se concluait bien, par exemple, le nouveau Marietton aurait sans doute un profil attractif… Pardi : deux TO, 275 agences, plus 130 franchisés environ et plus d’1,1 Mds € en volume d’affaires !

Qui sait, l’histoire connaîtrait alors un nouvel rebond…

Mais là, c’est de la pure spéculation… alors, comme dit le Lao Tseu d’Achille Talon, nous n’aurons pas « l’impulsivité de la limace qui s’engage sur le sentier sans savoir qu’il sera devenu une autoroute avant qu’elle ait fini de le traverser ».

Bertrand Figuier