Première tête à tomber, Kevin Mc Allister, le patron de la Division Aviation Commerciale de Boeing (BCA), a été brutalement limogé la semaine dernière. La compagnie n’a pas voulu donner d’explication à ce limogeage, mais en fait Kevin Mc Allister paye pour sa calamiteuse gestion de la crise du 737 MAX et l’absence d’une communication publique fiable vers les professionnels et le grand public.
Mais avant lui, le tout puissant PDG de Boeing, Dennis Muilenburg, avait perdu son titre de Président du conseil d’administration « pour lui permettre de se consacrer pleinement à résoudre le problème« . Ce qui dans les us et coutumes des grandes compagnies américaines le place en très bonne position pour un départ à plus ou moins long terme.
Comme Dennis Muilenburg est convoqué aujourd’hui 30 octobre devant le sénat américain pour s’expliquer sur cette crise du 737 MAX qui il faut le rappeler à causé la mort de 346 personnes, il aurait été désastreux pour Boeing de l’évincer avant, ce qui aurait pu être considéré comme un aveu de culpabilité.
Mais dans le monde de l’aviation la plupart des experts s’attendent à une valse des responsables chez Boeing car petit à petit les langues se délient et même si Boeing essaye de se couvrir, les investigations des enquêteurs et de la presse américaine font apparaître les mauvais choix et les pratiques très limite de Boeing. Et dans ce domaine c’est loin d’être fini.
Boeing aurait-il sciemment laissé voler des appareils dangereux ?
La semaine dernière, ont été révélés les échanges entre les deux pilotes d’essai du 737 MAX qui s’inquiétaient des mauvais résultats du système MCAS lors des essais en simulateur. « Il déraille dans le simulateur…c’est flagrant » (Mark Forkner, pilote d’essai en chef de Boeing lors de la certification en 2016).
Convaincu que ce système ne serait que rarement utilisé il avait six mois plus tôt demandé à la FAA qu’il n’en soit pas fait mention dans le manuel de pilotage!
On sait que la teneur de ces échanges était connue de la direction de Boeing au moins dès le mois de février 2019, bien avant le deuxième accident qui a fait 157 victimes, mais il semble que Boeing est décidé de ne pas en tenir compte.
Le rapport final de la commission d’enquête indonésienne sur le premier crash du 737 MAX, celui Lion Air, vient juste d’être publié. Il est accablant pour Boeing: « La conception et la certification du système MCAS étaient inadaptées« .
Et la commission d’enfoncer le clou sur la certification de ce système MCAS censé empêcher l’avion de décrocher, en estimant que la FAA, l’organisme américain de contrôle de l’aviation avait largement délégué la certification aux ingénieurs de Boeing eux-mêmes !
Le problème du 737 MAX, ce n’est pas que le MCAS, c’est un problème structurel
Depuis la dernière guerre, la force de l’industrie américaine est venue de sa capacité à produire des produits en grande quantité grâce à ces immenses halls d’assemblage où les chaines de montage modulaires permettent d’apporter des retouches au fil du temps pour améliorer les qualités du produit. Chez Boeing, c’est aussi la même recette.
Les usines Boeing ont ainsi vu passer les versions successives du 737 l’appareil le plus vendu au monde. Améliorer un appareil qui marche coûte beaucoup moins cher que d’en créer un nouveau.
Et dans sa lutte à couteaux tirés avec Airbus et pour faire face à le demande pressante des compagnies aériennes à la recherche d’appareils moins gourmand en carburant, Boeing a choisi d’équiper ses 737 de moteurs beaucoup plus économiques, ce qui en soit est une très bonne idée.
Mais ces nouveaux moteurs se sont trouvés être plus lourd et surtout plus volumineux. Sous les ailes du 737 classique ils risquaient de toucher le sol. Alors pour pouvoir conserver la structure basique du 737, la solution proposée par les ingénieurs a été de positionner un peu plus en avant la fixation de l’aile sur la carlingue, ce qui l’éloignait du sol.
Il n’y a pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre qu’en positionnant des moteurs plus lourds un peu plus vers l’avant de l’appareil, on modifie grandement le centre de gravité de l’avion et qu’il aura tendance au décrochage lorsqu’il est en montée à pleine puissante après le décollage, contrairement aux autres versions du 737.
A tout problème une solution! Il suffit d’installer un système correctif automatique (le MCAS) qui corrigera ce défaut en le faisant piquer du nez sans même que les pilotes en soient vraiment informés.
Boeing n’allait quand même pas dire que dans certaines conditions, rarissimes mais pas exceptionnelles, le 737 MAX pourrait avoir tendance à se comporter comme un fer à repasser.
Alors le manuel de pilotage fourni par Boeing passe totalement sous silence les problèmes que peut soulever le système anti-décrochage s’il se déclenche à tort (multiples alarmes et alertes concomitantes) et comment y remédier.
De plus ce problème ne faisait pas partie des instructions dans les stages de formation et d’homologation des pilotes.
C’est peut-être ce problème de conception de l’appareil, qui fait que Boeing n’arrive pas à proposer à la FAA, l’autorité de l’aviation fédérale américaine, une amélioration fiable de son système MASC.
Et si jamais la FAA lève l’interdiction de vol des 737 MAX, Boeing devra aussi avoir l’autorisation des autres organismes internationaux de certification. Le régulateur européen échaudé par la collusion évidente qu’il y a eu entre FAA et Boeing a déjà annoncé qu’il ferait ses propres tests avant toute autorisation de vol en Europe.
L’image de marque de Boeing durement entachée
Du coté des passagers potentiels, les sondages américains sont catastrophiques. Près de 80 % des sondés se refusent à envisager de voler sur un 737 MAX. United Airlines à même annoncé que les passagers qui refuseraient de voler sur un 737 MAX pourrait modifier leur vol sans pénalité. Mais certains tempèrent la dureté de ces chiffres en rappelant que la plupart du temps les passagers ne sont pas informés du type exact d’appareil qu’ils vont prendre et que dans leur grande majorité au comptoir d’enregistrement ils sont plus intéressés à obtenir leur siège préféré, hublot ou couloir.
En attendant, Boeing a ralenti la cadence de production des Max, car il ne sait plus ou les stocker. Certains ont même été parqués sur les aires réservées aux voitures des employés.
Certaines compagnies ont annulé ou diminué leurs commandes. Mais les déboires du Max n’impactent pas que Boeing. Avec l’immobilisation des Max déjà en service, des milliers de vols ont du être annulés surtout aux États Unis, et les compensations financières vont être colossales.
Des compagnies, comme Norwegian, qui avaient une flotte conséquente de 737 MAX sont asphyxiées, et d’autres comme celles qui comptaient sur la livraison de leurs nouveaux appareils pour rajeunir leur flotte ou pour ouvrir de nouvelles routes, prennent du retard par rapport à la concurrence.
Un malheur n’arrivant jamais seul, le mois dernier lors de tests structurels de pression au sol avec les inspecteurs de la FAA de son futur 777X concurrent direct de l’Airbus A350, un incident majeur s’est produit, une porte se serait arrachée.
Les premiers essais en vol avaient dû déjà être repoussés en 2020 à cause d’incidents lors des tests sur les moteurs GE9X de General Electric.
Ces incidents-là ne veulent surtout pas dire que le 777X pourrait être dangereux ou mal conçu, ils font partie des tests hors normes qui soumettent les appareils à des essais bien au delà des conditions réelles pour pouvoir augmenter la sécurité de manière redondante.
L’impact réel de ces incidents lors de tests est de rallonger quelque peu la période de conception finale et d’essais, ce qui retarde d’autant les premières livraisons. Ce long courrier pouvant transporter jusqu’à 425 passagers a été déjà commandé par plusieurs compagnies dont Emirates. Les premiers appareils 777X devraient pouvoir être livrés courant 2021.
Frédéric de Poligny