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Comment le temps passe…

julie [1]Dernièrement, une volée de moineaux s’ébattait devant l’agence. Tout plein de petites bonnes femmes et de petits bonshommes, hauts comme trois pommes.

Face la vitrine, une vingtaine de frimousses coiffées de bonnets et emmitouflées dans des écharpes, piaillaient joyeusement, encadrées par trois adultes pour une sortie périscolaire.

Une jeune femme a passé la tête à l’intérieur de l’agence pour m’interroger : « Les enfants font le tour des commerçants du quartier. Accepteriez-vous de répondre à quelques-unes de leurs questions », me demanda-t-elle aimablement.

Comme ce n’était pas le rush à cette heure, je lui ai répondu par l’affirmative. Toute la volière s’est alors engouffrée dans nos locaux.

La jeune femme a repris la parole : « Un peu de calme les enfants ! Qui veut poser sa question à la gentille Madame qui accepte d’y répondre ? ».

« Gentille Madame ? C’est pas très sympa ! », que je me suis dit en mon fors intérieur. « Gentille », certainement, « Madame », faut pas pousser Julie dans les orties.

Ça m’a fait un choc, à moi qui me prend toujours pour une jeunette du haut de mes 28 ans. « Madame », ça fait sérieux, un rien vieillot, un peu ringard non ?

J’ai la tronche d’une « Madame » ?

J’aurais voulu leur dire : « Je suis Julie, la petite écervelée de LaQuotidienne, celle qui raconte des bêtises grosses comme elle, celle qui – comme vous les enfants – abandonne d’énormes fautes d’orthographe dans ses chroniques, qui rigole d’un rien avec ses collègues, s’empiffre chez McDo, craque pour un Kinder Surprise ou un Carambar ».

Mais non, l’autre m’avait collé l’étiquette de « Madame » sur le front. Je ne pouvais plus m’en défaire et devais assumer mon nouveau statut aux yeux de la multitude qui me dévisageait avec
respect.

« Tu fais quoi ici, Madame ? », me demanda le premier. « C’est difficile comme travail, Madame ? », enchaîna un autre. « Tu gagnes beaucoup d’argent, Madame ? ». « Tu dois voyager souvent, Madame ?
». « T’as un amoureux, Madame ? », glissa même une fillette espiègle aux joues rougies par le froid.

Je me suis prêtée au jeu des questions réponses pendant 10 bonnes minutes. Puis, la marmaille s’est dispersée dans la rue m’abandonnant seule sur ma chaise, comme une imbécile.

J’adore les gamins mais ceux-là me laissent un arrière-goût bizarre. J’avais beau les supplier de m’appeler Julie, rien n’y faisait. Pour eux, j’étais la « Madame » qui vend des voyages en terres inconnues : Tanzanie, Sri Lanka, Kuala Lumpur, Salvador de Bahia, Machu Picchu… Un OVNI – Objet Voyageant Non Identifié… Une sorte de sorcière qui parcourt le monde juchée sur son balai quadriréacteur.

Quelle image garderont-ils de moi ? Celle de la nana cool que je suis ou celle d’une « Madame » respectable qui trône, telle une institutrice acariâtre, sur son capharnaüm de brochures et d’écrans d’ordinateurs ?

Sans doute m’ont-ils déjà oubliée ! Ce qui vaut mieux…

En cette veille de fêtes, j’embrasse tendrement toutes les petites têtes blondes (brunes, noires, jaunes itou !). Mais il va falloir que j’y songe sérieusement.
Car je crois qu’ils ne m’ont vu ni comme un OVNI, ni comme une instit’, ni comme une « Madame »… mais comme une Maman !

Julie Labrune, 28 ans.
Conseiller en Voyages