Avec le rachat total de Corsair par Air Caraïbes, le transport français fait un premier pas dans la concentration de ses forces.
C’est à priori une bonne nouvelle tant le secteur est très fragile face à la libre concurrence internationale.
C’est même une nécessité, si il veut échapper au destin tragique de la marine marchande française, aujourd’hui quasi morte, alors que nous avons accès à deux mers et un océan, pour une façade maritime de plusieurs milliers de kilomètres.
Bien sûr, il faudra encore attendre jusqu’à la fin du mois de juin environ, et l’avis des autorités de la concurrence, pour considérer l’opération officiellement entérinée. Il faut aussi compter avec les remarques ou les suggestions du personnel de Corsair.
Cela étant, on voit mal le Groupe Dubreuil, la maison-mère d’Air Caraïbes, s’engager publiquement dans cette aventure sans avoir au préalable un minimum d’assurances et de garanties sur ces deux points.
Reste à savoir si le mariage entre les deux compagnies est réellement viable.
Certes Corsair n’est pas florissante, mais elle se redresse pas à pas et le Groupe TUI s’est engagé à la recapitaliser dans le courant de l’année.
Dans ces conditions, comme l’a souligné Jean-Paul Dubreuil, le Pdt du Groupe éponyme, la voir épauler par une structure financièrement solide ne peut que l’aider à franchir les dernières marches avant le retour plein à la rentabilité.
D’un autre point de vue, on peut supposer que le personnel de Corsair a si longtemps sentir passer le vent du boulet qu’il saura facilement où se trouve son intérêt et préférera se mobiliser sans chipoter, quand bien même le salut viendrait de l’extérieur.
D’autant plus qu’à cet égard, Jean-Paul Dubreuil s’est engagé formellement à ne pas licencier, même en cas de doublon, préférant mobiliser toutes les compétences disponibles pour développer le marché des deux compagnies qui resteront distinctes, sœurs au sein de leur maison mère.
Au-delà de ces considérations, si importantes soient-elles, Pascal de Izaguirre souligne avec raison la complémentarité des réseaux, l’un plus sur l’Océan indien et Afrique, le second davantage à l’ouest, vers l’Arc antillais, la Guyane et le Canada.
De même que les flottes se complètent aussi très bien, Corsair ayant justement prévu de se séparer de ses B 747 en 2017 quand Air Caraïbes prépare l’arrivée de 11 A 350, dont 6 350-900 et 5 350-1000, entre 2016 et 2024.
À cela, il faut aussi ajouter leur positionnement respectif sur Orly, où Corsair dispose de 5 300 slots tandis qu’Air Caraïbes détient plus de 30 % des parts de marché à destination des Antilles et de la Guyane.
L’ensemble ainsi formé pèse déjà 2,4 M de passagers, pour 15 destinations et 14 100 vols, dont 6 300 en long courrier et 7 800 sur le régional, 2 000 employés, 15 avions, dont 9 A 330, et un chiffre d’affaires de 830 M €.
Pour Marc Rochet, qui chapeautera les deux compagnies, ce bilan est assez consistant pour nourrir de vraies ambitions ; rendre Corsair rentable dès la 1ère année d’exploitation par exemple.
Pour y parvenir, il prévoit de filialiser la maintenance et les escales au sein de structures spécifiques dédiés aux deux compagnies mais ouvertes aussi aux clients extérieurs.
Il veut également augmenter le nombre de destinations desservies, ajouter des fréquences et optimiser l’ensemble des routes en améliorant la productivité de la flotte et des personnels disponibles.
Il est également question, d’ici les cinq prochaines années, d’investir environ 5 M € dans la qualité des cabines…
Mais le plus important est encore ailleurs.
Reprenant la recette qui a favorisé le décollage d’Air Caraïbes, Jean-Paul Dubreuil et Marc Rochet vont créer une structure ad hoc qui opérera l’ensemble de la flotte A 350 pour le compte des deux compagnies.
Partant d’une page blanche, explique Marc Rochet, et avec le personnel volontaire, il sera plus facile d’échapper à l’empilement de contraintes réglementaires qui pénalisent le transport aérien français, pour de créer ex nihilo un environnement de travail plus propice à la productivité attendue.
Pour finir, rappelons juste qu’Air Caraïbes se développe vite.
En 10 ans, elle a triplé son chiffre d’affaire, enregistré 10 résultats financiers positifs, généré 56 M € de résultats net et son personnel actionnaire peut percevoir jusqu’à 28 % du profit net.
Le tableau ainsi présenté donne assez de raisons sérieuses pour croire à la pérennité d’un rapprochement entre Corsair et Air Caraïbes. Elles se connaissent bien d’ailleurs, puisqu’elles sont déjà en code-share sur certaines dessertes.
Et puis le projet était en discussion depuis près de cinq ans ; ça laisse le temps de murir les idées et d’observer précisément l’évolution du marché en attendant la fenêtre de tir adéquate.
Qui sait, l’initiative des deux compagnies françaises va peut-être intéresser d’autres compères ; le mouvement de concentration ne fait probablement que commercer.
Bertrand Figuier