On a beaucoup vu ces derniers temps Guillaume Linton, le patron du tour opérateur Asia. Il faut reconnaître que durant la pandémie, il aura été très actif. On a pu le voir à la télévision, dans la presse écrite ou dans des groupes de réflexions sur l’après-covid. Malgré son emploi du temps surchargé, il a tout de même accepté gentiment de répondre aux questions de La Quotidienne. Les propos peuvent paraître longs mais ils sont très instructifs. On y découvre la personnalité de Guillaume Linton, la stratégie d’Asia, les réponses à un tourisme durable, la nécessité d’innover !
La Quotidienne : Etre très présent dans les médias aujourd’hui, alors que nous sommes confinés, est-ce pour mieux préparer l’avenir ?
Guillaume Linton : Toute crise constitue un « instant de vérité » pour les entreprises dans l’alignement de leurs valeurs déclarées et de leurs actions. Ces valeurs qui nous animent toute l’année et qui sont le fondement même de notre engagement et de celui de nos collaborateurs sont mises à l’épreuve dans ces situations extra-ordinaires. En particulier pour notre profession ici en première ligne et pour nos destinations d’Asie du Nord et du Sud-Est durement impactées depuis plus de 3 mois.
Ainsi, du fait de cette forte exposition de nos zones dès la fin Janvier, il m’est paru naturel de me prêter à cet exercice de vérité et d’apporter ma modeste contribution au travail de communication de nos institutions (SETO et EDV en tête) en répondant favorablement aux sollicitations des médias. Dans ces périodes chahutées et dans la grande tradition d’Asia, telle que Jean-Paul Chantraine (photo ci-contre), notre fondateur, l’a incarné et défendu avec passion et vigueur jusqu’à son dernier souffle, notre voix s’est toujours mise au service de notre philosophie du voyage et de toutes celles et ceux qui la partagent au quotidien au sein de notre profession.
LQ : Est-ce que votre parcours professionnel vous aide à passer le cap ?
GL : Pour ma part, étant d’abord un homme de terrain depuis plus de 22 ans (en Australie pour L’Oréal, puis en France et en Asie pour Asia), porté par mes racines provinciales du côté de ma mère et par ma culture anglo-saxonne du côté de mon père, je me suis toujours considéré comme un « fantassin du voyage », aux côtés des femmes et des hommes de terrain (agents de voyages, commerciaux, forfaitistes et billettistes des TO et des compagnies, hôteliers, équipes réceptives…) qui sont en 1ère ligne pour défendre nos intérêts et pour écouter, rassurer, convaincre, séduire, accompagner et assister nos clients.
Les grandes pages de l’histoire de nos entreprises et de notre profession se sont écrites lors de chocs exogènes majeurs (guerres, tsunamis, volcans, chocs pétroliers, épidémies, attentats, crises financières, incendies…), qui n’ont pas particulièrement épargné notre zone Asie-Pacifique depuis une quinzaine d’années. Que ça soit au côté de Jean-Paul Chantraine, ou dans mes missions à la présidence du bureau français de la PATA (Pacific Asia Travel Association), j’ai appris, au cours de ces tempêtes, que le maintien du cap était la seule voie possible, coûte que coûte, quitte à ralentir l’allure pour éviter la casse. J’essaie aujourd’hui de tendre le regard vers l’horizon et de porter ce même engagement, avec force et sincérité.
LQ : Les clients vont avoir besoin d’être rassurés notamment sur les conditions sanitaires à destination. Que compte proposer Asia ?
GL : Après la réouverture des frontières et la reprise du tourisme international, le principe de précaution prévaudra. Avant toute décision d’achat, les voyageurs seront d’abord et avant tout soucieux des gages de sécurité que nous pourrons leur apporter et ils seront très attentifs aux mesures sanitaires drastiques qui seront prises dans les aéroports, hôtels, restaurants, véhicules et sites visités. Ils attendront de notre part et de la part de leurs agences des informations très précises et une réelle transparence sur le respect de ces mesures.
Raison pour laquelle notre expertise de la destination, le choix rigoureux de nos partenaires aériens et terrestres, nos cahiers des charges très stricts, élaborés avec nos réceptifs, tout cela incarné depuis près de 35 ans par notre marque, seront certainement autant de gages de confiance solides pour nos clients.
Au travers de cette crise, les français semblent à nouveau réaliser que voyager comporte des risques et que les professionnels sont justement là pour les anticiper, en réduire les méfaits et réagir en temps réel en cas d’urgence ou de nécessaire rapatriement. Fabuleuse démonstration de la valeur de nos métiers ! Quel plus beau message porter pour mieux préparer l’avenir ?
LQ : Les pays d’Asie sont actuellement très touchés par la pandémie. Comment se prépare la saison hiver 2020-2021 ?
GL : Certains d’entre eux, Chine et Corée du Sud en tête, ont été fortement touchés pendant près de 3 mois (du début Février à fin Avril). D’autres ont été relativement épargnés, comme le Vietnam, le Japon, le Cambodge ou la Thaïlande notamment. Dans tous les cas, du fait de leur antériorité dans la gestion de l’épidémie et des mesures radicales engagées par leurs autorités sanitaires (confinement systématique des cas suspicieux, dépistage massif, port du masque généralisé), la plupart des pays de la région devraient être les premiers à venir à bout de l’épidémie.
Pendant que nos clients français seront limités dans leurs déplacements, pour de longues semaines encore, à l’intérieur de nos frontières, puis de celles de l’espace Schengen, les autorités locales et les opérateurs touristiques en Asie vont continuer eux aussi à déployer et à tester à grande échelle tout un arsenal sanitaire, dans les aéroports en particulier, pour relancer leur activité touristique auprès de leur marché domestique, pour être ensuite en mesure de ré-ouvrir leurs frontières au tourisme régional, sans prendre le risque de la fameuse 2ème vague liée à d’éventuels cas importés.
LQ : Vous semblez donc confiant pour une reprise dès cet automne ?
GL : Je suis plutôt confiant dans la capacité de nos destinations à accueillir dès cet automne nos voyageurs dans des conditions sanitaires et logistiques éprouvées. Ça sera dans tous les cas la condition absolument nécessaire du redémarrage de notre activité. Nous ne changeons donc rien à nos plannings de production et à notre « ligne éditoriale » qui valorisera plus que jamais, sur nos 42 destinations d’Asie, du Moyen-Orient et du Pacifique, le « beau voyage itinérant » (en privatif, en tribu ou en petits groupes) au cœur de notre ADN et faisant la part belle à la personnalisation, à la rencontre et au partage, dans des lieux intimistes et de caractère, loin des parcours touristiques très fréquentés et des sites surchargés.
Pour être en phase avec l’attente renforcée de nos clients pour davantage de facilité d’annulation en cas d’inquiétude covid mais aussi d’accompagnement dans la préparation de leur voyage, nous allons fortement miser sur toute la batterie de services nécessaires pour faciliter leurs démarches consulaires et sanitaires et pour nous assurer lors de leur vol et à destination de leur totale sécurité pendant leurs déplacements et sur les lieux d’hébergement. Nos liens historiques et de confiance avec nos partenaires sur place devraient faciliter l’obtention en toute transparence des dispositifs sanitaires détaillés déployés à destination.
LQ : Quel impact prévisible concernant les ventes ? Les prix ?
GL : Difficile de prévoir dès aujourd’hui les volumes par destination et les typologies de produit, raison pour laquelle, l’accent sera davantage mis sur la petite taille de nos groupes, la profondeur et l’exhaustivité de notre offre coté circuits et sur la souplesse de nos outils de réservation dynamique pour nos voyages et séjours privatifs (près de 300 programmes sont déjà disponibles à la vente jusqu’à fin Décembre 2021).
Pour ce qui est des prix, nous nous attendons à une hausse tarifaire qui paraît inéluctable coté aérien (du fait des mesures sanitaires et de distanciation envisagées sur la plupart des vols long-courrier) et très probable côté terrestre, du fait d’une offre hôtelière certainement réduite en fin d’année (staff à retrouver, travaux après de longs mois d’inactivité et mise aux normes sanitaires nécessaires) et de la difficulté attendue, dès la reprise, à mobiliser de suite tous nos guides francophones, habitués à l’exigence de nos clients et formés par nos bureaux locaux depuis de nombreuses années.
LQ : les clients auront donc un avantage à réserver dès maintenant avec vos conditions actuelles ?
GL : Bien sûr, il y a dès à présent un véritable effet d’aubaine, en terme de prix mais aussi d’accès aux meilleurs guides et prestations, pour tous ceux qui planifient dès maintenant leur voyage pour la fin d’année et pour le 1er semestre 2021, que ça soit dans le cadre d’une nouvelle réservation ou d’un report (mêmes tarifs garantis sur tous nos circuits réservés avant le 30 Juin pour la même période de voyage l’an prochain).
LQ : Avec des destinations majoritairement asiatiques, il doit être difficile de gérer la saisonnalité ?
GL : Nous allons devoir redoubler d’efforts dans la scénarisation de notre offre afin de favoriser l’émergence de nouveaux territoires et de nouvelles expériences pour accélérer la dispersion spatiale et temporelle de nos flux. Pour sortir certains sites de l’hyper-saisonnalité et réussir cette dilution du trafic dans le temps et dans l’espace, nous devrons également faire preuve d’une grande pédagogie et déployer une communication bien plus sophistiquée. Nos liens étroits et historiques avec les grands OT d’Asie et du Pacifique et avec nos partenaires aériens et hôteliers devraient là aussi faciliter la convergence de nos messages.
LQ : Vous évoquez souvent votre engagement environnemental. Quelles sont les mesures concrètes ?
GL : Afin d’être en phase avec un des volets de notre engagement environnemental (Asia est en cours de labellisation ATR) et après une longue période de confinement pendant laquelle les français ont fortement amélioré leur maîtrise des outils connectés, nous allons optimiser nos supports de commercialisation à la rentrée Septembre, en étoffant nos plateformes digitales pour réduire fortement le nombre de catalogues papier.
LQ : Pour cet été 2020, que peut proposer Asia? Vous avez indiqué récemment réfléchir à la France…est-ce sérieux ? Sous un nouveau branding ?
GL : Ça n’est plus seulement une réflexion mais c’est effectivement maintenant devenu bien concret. Au-delà de sauver notre saison Été, pour laquelle nous avons engrangé de très beaux dossiers qui seront probablement suspendus (sur Bali et l’Indonésie, l’Australie, le Japon, le Vietnam ou encore les côtes thaïlandaises), notre idée est de continuer à servir nos clients qui le souhaiteront et de prendre en charge l’organisation de leurs vacances en France cet été et cet automne, avec la même exigence, la même attention aux détails et la même qualité de service dans la personnalisation et la conception de nos voyages.
Bien sûr il n’est pas question pour nous de leur proposer de simples séjours ou un assemblage de prestations basiques sur lesquelles nous n’aurions qu’une faible valeur ajoutée. Il s’agit davantage de mettre en avant des itinéraires privés et « haute-couture », pour les inviter à (re)découvrir toute la richesse de nos terroirs et de nos régions, à rencontrer ceux qui leur donnent vie au quotidien, en y ajoutant notre touche Asia et notre philosophie du beau voyage, au travers de la gastronomie, du bien-être, des anecdotes des guides privés ou des rencontres avec des architectes, artistes, collectionneurs ou voyageurs passionnés entre autres par la spiritualité ou les arts d’Asie et d’Océanie…
Ces escapades en France pourront également s’adresser aux familles, en leur proposant des visites guidées, ludiques et insolites, des plus beaux sites et musées français dédiés aux cultures moyen-orientales, asiatiques ou pacifiques, pour initier leurs enfants à ces traditions du bout du monde. Notre intention est de faire comprendre à ces voyageurs en herbe, mais aussi aux plus grands, que le dépaysement commence en bas de chez soi et qu’un long voyage mérite une certaine préparation, tel un rite initiatique pour leur donner les repères et codes nécessaires à la pleine appréciation sincère d’un périple au long cours.
LQ : Asia est également distributeur… quelles seront les actions des agences de voyage pour redémarrer ? Avez-vous des nouvelles de vos principaux réseaux revendeurs ?
GL : Qu’elles ré-ouvrent leurs portes dans les prochains jours ou pas, nos agences et notre équipe web sont restées parfaitement joignables dès le début du confinement. Leurs actions sont limitées sur le mois de Mai, du fait de l’activité partielle, mais ne sont aucunement interrompues. J’en profite à ce sujet pour souligner la qualité de leur engagement, au service de nos clients, comme pour l’ensemble de nos équipes au siège et en région, et ce malgré la double contrainte du télétravail et de l’activité partielle.
Sur le mois de Juin, si l’activité reprend davantage, leurs actions seront de 3 ordres :
– Finalisation des reports pour les départs suspendus jusqu’au 30 Juin 2020 (près de 40 % déjà engrangés)
– Proposition à leurs clients de belles expériences en France (métropole & Corse) pour cet été et cet automne
– Anticipation des réservations pour les départs sur l’Asie-Pacifique pour la fin 2020 et le début 2021.
Du côté de nos principaux réseaux revendeurs, avec lesquels nous sommes en contact régulier, l’énergie est surtout portée à ce stade sur la gestion des reports et sur la finalisation d’une offre France pour les plus agiles d’entre eux.
LQ : Beaucoup de voyageurs vers l’Asie partent de façon individuelle en réservant directement leur transport. Une organisation comme Evaneos semble prendre des parts de marché. Comment peut réagir Asia?
GL : Notre meilleure réaction, face à la tentation de désintermédiation des clients, quel que soit sa nature, dans un contexte qui restera pour de longs mois encore très anxiogène pour eux, sera de mettre en avant toutes les dimensions éminemment rassurantes de notre intermédiation, à commencer par la caution très forte apportée par notre marque et par la transparence de l’information et la qualité de service apportées par nos équipes.
Les opérateurs touristiques qui tireront leur épingle du jeu au moment de la reprise seront dans tous les cas ceux qui auront été avant tout en mesure d’adopter vis-à-vis de leurs clients une démarche « RAS », visant à les Rassurer sur les mesures sanitaires engagées, à les Accompagner dans toutes les démarches préalables à leur voyage et à Sécuriser leurs règlements, via les assurances adéquates et la caisse de garantie.
LQ : Les entreprises du tourisme sont particulièrement touchées sur le plan financier. Certaines sont en train de restructurer et de couper. Quelles sont les mesures envisagées chez Asia ?
GL : Bien que très impactés dès la fin Janvier par la crise du covid-19, nous n’avons eu recours à ce jour à aucun licenciement chez Asia.
Avantagés par la forte concentration de nos départs sur l’Hiver (Octobre à Mars), par l’excellente entame de l’exercice (+17 % à la mi-Janvier) et par la gestion historique en « Bon Père de Famille » de l’entreprise, nos bons résultats passés et nos fonds propres solides ont parfaitement joué leur rôle d’amortisseur sur le chemin chaotique de ces 3 premiers mois de crise.
Le dispositif gouvernemental très conséquent mis en un temps record à disposition des entreprises du tourisme (ordonnance, activité partielle, décalage ou exonération des charges, prêt garanti par l’Etat) nous a par ailleurs permis de nous projeter, dès l’arrêt brutal de tous nos départs le 17 Mars dernier et de préserver l’ensemble de nos équipes (près de 120 personnes en France).
Pour un TO spécialiste comme Asia, nos collaborateurs sont notre plus précieuse ressource, puisqu’au-delà de notre recherche d’experts des destinations lors de leur recrutement, il nous faut près de 2 ans par exemple pour former nos forfaitistes B2B aux subtilités de nos outils et de notre production et leur transmettre ainsi tout notre savoir-faire.
Par ailleurs, le manque de visibilité n’excuse pas l’absence de vision, bien au contraire. C’est la raison pour laquelle, au-delà de ces mesures gouvernementales, il est de notre responsabilité d’anticiper la reprise et de tout mettre en œuvre pour animer le marché dès que notre horizon s’éclaircira.
Nous sommes en effet sur un marché « drivé » par l’offre, raison pour laquelle il serait incompréhensible qu’une entreprise française, aidée comme la nôtre, ne contribue pas, à son petit niveau, à l’effort de relance nationale en mettant dès cet été notre savoir-faire et notre puissance de commercialisation au service des hôteliers et des opérateurs touristiques français en région.
De la même façon, n’attendons surtout pas la fin de l’été pour susciter les réservations pour les départs long courrier sur la fin d’année et sur 2021. Au-delà du risque d’inflation tarifaire déjà évoqué, les stocks sur nos destinations risquent de manquer, face à un tourisme régional intra-asiatique, qui aura quant à lui déjà largement redémarré.
La route est encore longue, mais il suffit de se tourner vers nos équipes pour réaliser que les énergies et les idées ne manquent pas ! « Gradatim ferociter » (pas à pas, férocement)
LQ : Asia possède des infrastructures en Asie, quel impact humain et financier ?
GL : Nous avons des partenariats solides et historiques avec nos équipes dédiées chez nos réceptifs en Asie et dans le Pacifique mais n’avons plus d’infrastructures 100% filialisées. De ce fait il nous est difficile à ce stade de juger de la situation exacte de chacun de nos partenaires.
Les impacts de la crise sur l’activité touristique sont très profonds en Asie, même si l’épidémie est en fort recul, du fait notamment de l’absence depuis le début Février de la clientèle chinoise, 1er marché émetteur de la région.
Par ailleurs les aides gouvernementales pour les entreprises en difficulté dans la plupart de ces pays sont bien moins structurées et sans commune mesure avec celles dont nous bénéficions en France.
LQ : Comment réagit l’actionnariat d’Asia ?
GL : Avec Julien Beaufreton, précédemment banquier d’affaires et solide directeur financier d’Asia, qui est à nos côtés depuis près d’un an maintenant, nous entretenons des liens très étroits avec nos actionnaires (famille Chantraine et nos 3 fonds, Adaxtra, UI Gestion et NCI).
Ces derniers sont parfaitement alignés sur nos axes stratégiques et ils nous témoignent depuis le début de cette crise un soutien absolument sans faille, mettant si nécessaire à notre disposition leur précieuse expertise financière.
Nous sommes donc parfaitement armés pour traverser cette tempête dans les prochains mois et jouer dès que possible le rebond !
Propos recueillis par Serge Fabre