Devant les caméras de La Quotidienne, lors des récentes JEVO marseillaises, Jérôme Bonin, le Directeur général France de IATA, et Fabrice Dariot, le patron du discounter de Bourse-des-Vols.com, ont évoqué les nouveaux critères d’agréments auxquels les agences de voyages vont devoir se conformer.
Ce débat était simple, sans langue de bois, et sans ce jargon trop technique que l’on utilise bien souvent pour noyer les choses ou répondre en deçà des attentes.
Deux choses me chiffonnent cependant.
La première, si j’ai bien tout compris, serait qu’une agence ayant une année un résultat brut d’exploitation négatif se verrait perdre tout ses acquis même si depuis 30 ans, elle a toujours fonctionné correctement.
J’avoue que je comprends mal cette nouvelle contrainte, car ce résultat d’exploitation n’implique pas forcément qu’une entreprise perd de l’argent ou qu’elle va se trouver en difficulté de paiement.
D’abord sa trésorerie ne pas forcément dépendante de ce chiffre, elle est plus liée à l’histoire de l’entreprise et à la gestion de son responsable. Il arrive aussi qu’une entreprise gagne de l’argent, avec des produits financiers ou exceptionnels, par exemple, voire des crédits d’impôt, tout en ayant un EBITDA négatif.
De plus, ses fonds propres peuvent également couvrir largement son déficit ponctuel d’exploitation.
Enfin, selon sa stratégie de développement, une entreprise peut investir dans des opérations non amortissables, du genre campagne de publicité, et alourdir ainsi son compte de charge sans se mettre en péril pour autant.
Que IATA cherche à garantir ses ressources est tout à fait légitime, même si l’on est bien obligé de constater qu’elle exige des garanties qu’elle-même se refuse à donner aux agences de voyages.
En dépit d’ailleurs, du nombre de compagnies aériennes plus ou moins importantes, qui cessent brutalement leur activités en laissant tout le monde sur le carreau, distributeurs et clients en particulier.
La seconde me paraît plus étrange encore, voire plus dangereuse pour les agences de voyages.
En cas de cession d’une agence agrée IATA, si j’ai toujours bien compris ce que j’ai entendu en atelier et pendant nos « Qafés de La Quotidienne », il semble que l’acquéreur verra annulé de fait tout l’historique IATA de l’entreprise qu’il reprend.
Cet historique, j’imagine, fait certainement une partie significative de la valeur de l’entreprise cédée, et je me demande si ce retour imposé à la case départ dans ses transactions avec IATA n’est pas en mesure de freiner sa transmission.
J’ai bien noté que dans le cas d’une entreprise agrée rachetée par une autre entreprise agréée, les volumes d’activité de l’une et de l’autre seraient en fait agrégés tout simplement, et que l’agrément de la société reprise s’éteindrait naturellement.
Bon ; mais si l’acquéreur est le fils du vendeur, lui même surtout intéressé par la retraite, comme pourraient l’être un certain nombre d’agents de voyages actuellement, que se passe-t-il ?
Le fils doit-il repartir à zéro, malgré les bons états de service et la bonne gestion de son père ?
Sans être un spécialiste du rachat d’entreprise, je me dis que, dans ces conditions, la valeur de l’entreprise risque d’être drastiquement amputée, au point de rendre sa cession sans véritable intérêt.
Je me demande évidemment si ce nouveau critère IATA ne serait pas non plus une prime aux gros acteurs de la distribution ? Ce serait les seuls en effet à pouvoir acheter sans souffrir de ce retour à zéro, d’autant plus qu’ils profiteraient d’un prix d’acquisition bien plus favorable.
Si l’on veut renforcer la consolidation du marché, ça me paraît un moyen à la fois discret et efficace.
Alors tout ça me chiffonne. Je ne suis pas juriste, ni même financier, et encore moins législateur national ou européen.
Pourtant, je me demande si, dans cette affaire, on respecte bien les règles de la concurrence loyale ; si l’on fait vraiment tout pour favoriser le développement du marché et pour préserver l’emploi qui pourrait aller avec…
IATA a légitimement le droit de se protéger et de protéger ses adhérents ; c’est sûr. Mais cette organisation privée et internationale peut-elle tout faire, en toute liberté ?
Est-ce un « cartel », comme on disait encore dans les années 30 du 20ème siècle, qui impose un état de fait et profite de sa position dominante ?
Certes la position dominante n’est pas interdite en elle-même, c’est seulement l’abus de position dominante qui est aujourd’hui réprimée.
Mais où se trouve la frontière exacte ?
Qu’en pense Bercy, qu’en pensent les Chambres de commerce, qu’en pensent l’ECTAA et le Snav ?
Alors que l’économie générale du tourisme chancelle dangereusement, que l’état prévoit d’aider financièrement les salles de spectacle et les hôteliers, est-ce bien le moment pour exiger tant des agences de voyages ?
Est-ce même au fond, dans l’intérêt des compagnies aériennes de pénaliser ainsi leurs distributeurs alors que leur trafic risque de faiblir sous la pression des attentats et des mesures de sécurité renforcées ?
Je le disais hier, tourisme ou affaire, le voyage, en ce moment, ça se complique sacrément.
Un peu de concertation aiderait certainement pour encaisser plus facilement la tourmente.
Bertrand Figuier