Des « projets fous ». L’expression n’est pas celle d’un militant écologiste ou d’un opposant politique, ce sont les propres mots du président turc Recep Tayyip Erdogan pour qualifier les grands chantiers qui devraient métamorphoser Istanbul au cours des prochaines années : un troisième aéroport, « le plus grand du monde, visible depuis la lune », un canal navigable parallèle au Bosphore pour doper le trafic maritime et enfin, un troisième pont sur le Bosphore entre l’Europe et l’Asie.
Ses piliers de la hauteur de la tour Eiffel enjambent désormais le Bosphore près de l’embouchure de la mer Noire. C’est l’un des plus grands ponts suspendus au monde. Sur son tablier, huit voies autoroutières et deux voies ferrées relient les deux continents, au nord de la métropole turque, dans une zone jusqu’ici épargnée par l’urbanisation galopante d’Istanbul.
Redonner à Istanbul ses atours de ville impériale
Pour Recep Tayyip Erdogan, ces grands projets ont une valeur symbolique essentielle: il s’agit de redonner à l’ancienne capitale de l’Empire ottoman ses atours de ville impériale, et d’afficher toute la puissance de la « nouvelle Turquie » dont le président se veut le maître d’œuvre. Ainsi, l’inauguration des travaux du troisième pont a eu lieu le 29 mai, date anniversaire de la conquête de Constantinople par les forces ottomanes…
[1]De même, le nouveau pont porte le nom de Yavuz Sultan Selim, ou Selim Ier, père de Soliman le Magnifique et responsable de l’expansion, au début du XVIe siècle, de l’Empire ottoman au Proche-Orient et en Afrique du Nord.
L’attribution de ce nom par les autorités turques a déclenché une vive polémique: Selim Ier est également connu pour avoir persécuté la minorité chiite alévie, qui constitue encore aujourd’hui le quart de la population du pays.
[2]Joyau des mille et une nuits, Istanbul est riche d’une histoire mouvementée et d’un passé légendaire, la « capitale des capitales » compte parmi les plus belles cités du monde.
Successivement grecque, romaine puis ottomane, à cheval sur l’Europe et l’Asie, elle se tourne vers l’avenir tout en préservant sa magnificence d’antan. Sa diversité culturelle et architecturale achèvera de perdre les voyageurs, de les plonger dans les méandres de l’histoire et des civilisations.
Musées, églises, palais, mosquées, marchés, panoramas et sites naturels: l’abondance donne le vertige. La variété des nuances et des atmosphères confère à la ville un parfum d’éternité.
Fluidifier le trafic automobile
Au-delà de la symbolique, le troisième pont du Bosphore devrait permettre, assurent les autorités turques, de fluidifier le trafic automobile de la région d’Istanbul, notoirement cauchemardesque.
[3]D’après elles, il servirait notamment de voie de contournement pour le transport des marchandises entre l’Europe et l’Asie.
Un argument mis à mal par des études, brandies par les adversaires du troisième pont, qui démontrent que le trafic routier intercontinental ne représente que 3 % de la circulation actuellement enregistrée sur les deux ponts existants.
Le chantier, qui a été conçu sans étude d’impact environnemental comme le prévoit pourtant la loi, est désormais achevé.
[4]Inauguré fin 2016 le troisième pont sur le Bosphore à Istanbul, un ouvrage relevant de considérables défis techniques, a été édifié en un temps record
Des projets fous, mais non négociables
Alors que la Turquie, sans majorité gouvernementale, est en pleine crise politique, le président Erdogan a bien mis en garde : quel que soit le gouvernement qui sera formé, il y a une ligne rouge à ne pas franchir, celle de la remise en cause des grands projets.
Et de nommer le troisième pont et le troisième aéroport, « auquel cas je serai le premier à m’opposer, personnellement, à la formation d’un tel gouvernement », a affirmé Recep Tayyip Erdogan.
Des « projets fous », peut-être, mais d’une importance capitale pour le projet politique – et l’orgueil – du chef de l’État…