La rumeur s’amplifie… Jean-Robert Reznick serait bientôt de retour sur le devant de la scène. À défaut de se confier sur ses projets en cours, il nous livre son point de vue sur l’état du tourisme français.
La Quotidienne : C’est encore à mots couverts, mais on parle de plus en plus de votre retour dans le tourisme…
Jean-Robert Reznik : Depuis 1968, je ne l’ai jamais quitté. Au contraire, j’ai constamment développé des opérations de toutes natures et toujours pour des entreprises françaises comme le Club Med, Maéva Club Hôtel, VALTUR, toutes les filiales tourisme d’Air France et Air Inter, les filiales Tourisme et le développements Asie Pacifique, Afrique Middle-East du Groupe Accor y inclus le rachat de Go Voyages…
Disons plutôt que j’ai toujours gardé une certaine indépendance vis à vis des leaders du secteur. Cette liberté d’action et l’expérience toujours renouvelée à l’international me donnent un point de vue peut-être plus large sur le potentiel du tourisme français et j’en tire une analyse stratégique sans doute plus globale et probablement moins convenue.
D’ailleurs, les conclusions que j’en tire concernent moins l’action du gouvernement lui-même que celle des personnalités censées être les plus influentes du secteur. À mes yeux, la véritable économie touristique française est toujours à construire.
Cela devient même urgent… Nous sommes la 1ère destination mondiale en fréquentation, mais seulement la 3ème en recette. Ces chiffres montrent clairement la carence stratégique, l’absence d’action pratique des acteurs d’un secteur qui reste pourtant un gros pourvoyeur de devises, d’emplois et de taxes.
LQ. : Comment faire pour résorber cette carence ?
JR. R. : Comment les destinations qui ont bâti une véritable économie touristique ont-elles procédé ? Ce ne sont pas que leurs plages, leur patrimoine culturel et leur climat qui ont assuré leur succès… C’est surtout les rôles qu’ont joué leurs réceptifs, efficaces et intelligemment soutenus par les politiques économiques et Touristique de leur gouvernement (infrastructures, transports, formations…).
En France, c’est l’inverse : les étrangers créent leurs propres réceptifs et la valeur ajoutée qui pourrait être ainsi créée nous échappe. Donc, la 1ère chose à faire, c’est de constituer un grand réceptif capable de créer des programmes intégrés qui mêleraient la découverte, le culturel, et une animation de qualité : bref du fun et de l’intelligence.
Pour enfin maîtriser nous même la clientèle qui choisit la France. Regarder nos centaines de festivals : c’est anarchique, sans la moindre harmonie, que ce soit sur le plan calendaire ou thématique. Il y a des exemples à l’étranger dont on peut tirer les enseignements : au Maroc des personnalités privées, comme André Azoulay (Conseiller de Sa Majesté le Roi Mohamed VI) à Mogador-Essaouira (quatre festivals), mais aussi des grands serviteurs de l’état, comme Mohamed Kabbaj, avec le festival des musiques sacrées à Fès, ou encore Mounir Majidi, Secrétaire particulier de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, avec le festival de Mawazin de Rabat. Tous ont travaillé dans une perspective commerciale sans jamais négliger les actions conjointes avec leurs ministères de tutelle : tourisme, culture et formation mais aussi finances, sans oublier l’intégration de leurs populations à l’événement.
Par exemple, en 2000, au moment de la vision 2010, le Maroc a chargé du développement Touristique Monsieur Fathallah Ouallalou qui couvrait simultanément Finance et Tourisme, puis son successeur, Adil Douiri, qui couvrait Tourisme et Artisanat, pour assurer l’amélioration et un meilleur contrôle des retombées financières.
LQ. : En France, on critique souvent l’accueil aussi…
JR. R. : La formation du personnel est essentielle bien sûr. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si le terme « hôtes » désigne aussi bien l’accueillant que l’accueilli… Si le personnel se sent « esclave », les clients ne peuvent pas être traités comme des hôtes. Il faut anoblir le métier des services, et tirer les compétences vers le haut pour que le personnel soit fier de son job. Sinon, il aura honte, et bonjour l’accueil ! Nous avons un exemple de cette erreur de management et de formation dans les territoires français des caraïbes.
Néanmoins Il faut tout aussi prioritairement former le client. Jean-François Rial le fait, avec succès et de belle façon. Le Club Med le faisait aussi, mais cela semble s’oublier, hélas…
En fait, l’éducation du client est aussi essentielle que celle du personnel ; et elle passe souvent par des choses très simples comme ce que les ministres de Thaïlande et de l’Indonésie ont réalisé à la fin des années 80 avec des plaquettes « do » et « don’t do » distribués dans leurs compagnies Aériennes.
LQ. : À vous écouter, l’action du gouvernement est aussi «concernée» que celle des leaders du métier…
JR. R. : Oui dans la mesure où la force du tourisme dépend beaucoup d’une volonté politique et des professionnels où les deux doivent se rejoindre. C’est ce qui a été à la racine du succès du plan Bourguiba des 5 zones en Tunisie, animé par Naceur Mallouche pour le FHT ou par Ahmed Smaoui, ou encore, au Maroc, l’action conjointe entre Mohamed Benammor pour les hôteliers et Driss Benhima pour le Tourisme et les infrastructures dans la « vision 2010 ».
On peut aussi citer l’Ile Maurice et le lancement du Tourisme par l’action conjointe des groupes touristiques privés Franco-Mauricien et le soutien du Gaetan Duval et du Président Rangoulam.
C’est aussi l’idée centrale du projet «France Côte Ouest de l’Europe», que je prône inlassablement, qu’il faudrait relancer sur la base d’un vaste programme d’aménagement de la côte atlantique qui reprendrait en la modernisant et en l’élargissant le plan MIACA de Chaban-Delmas, soutenu par Monsieur Biasini. Ça me paraît une opportunité essentielle qui mériterait un consensus et le soutien conjoint de Messieurs Rousset, Juppé, Emmanuelli, Bayrou, de Madame Michelle Alliot-Marie et de tous les Maires des Landes et de la côte basque.
Cette zone a tous les ingrédients culturels, humains, et écologiques, sans oublier la qualité de la vie, la gastronomie et les fêtes pour rivaliser enfin avec nos amis d’Espagne et du Portugal. C’est assez pour essayer de faire en sorte que le flots de véhicules s’arrêtent beaucoup plus que ce n’est le cas aujourd’hui… Et cela peut aussi améliorer les recettes et l’emplois d’une région qui a tout pour être la première Région Touristique d’Europe (RTE). Mais, cela dit, aux côtés du gouvernement, l’engagement des leaders du secteur reste un pilier aussi fondamental que nécessaire.
De ce point de vue, je crois qu’en France, la structure du métier ne pourra s’améliorer que quand le SNAV, le CETO et l’APST seront réunis. À cet égard, le travail de Jean Pierre Mas et celui de Raoul Nabet sont exemplaires, et ce n’est pas un hasard si le gouvernement vient de les saluer en validant l’ensemble des propositions de l’APST sur la protection des clients aux travers des assurances que la profession leur propose. Ce sera déjà un bon début pour sécuriser les candidats aux voyages, et pour valider la seule raison d’être de notre métier : la sécurité et la satisfaction de ceux qui nous font confiance.
LQ. : Encore faut-il que les acteurs du tourisme fassent cause commune ?
JR. R. : Sans doute, sans doute. Mais on pourrait en dire autant des hôteliers, des restaurateurs, des offices du Tourisme… Tous leurs efforts de promotion sont dispersés et ça les rend inefficaces par rapport à l’énergie dépensée. En s’organisant, ils gagneraient en capacité de négociation… au lieu de ça, on a des régions, des départements, des villes, des associations X ou Y qui multiplient les brochures et les voyages souvent à mauvais escient… »
Nous avons tous intérêt à nous mettre d’accord pour qu’une richesse touristique sous-exploitée par rapport à son potentiel international puisse enfin passer la surmultipliée. Souvenons nous des erreurs de la fin des années 80 où, à cause de querelles de leadership, les patrons du tourisme français ont tous résisté au plan que Robert Lion, patron de la Caisse des Dépôts, avait lancé en prenant des participations chez chacun d’entre eux…
Il ne faisait pourtant que suivre l’exemple du grand banquier, Monsieur Neuber, « West LB », avait lancé de son côté avec les groupes Allemands. On sait ce qu’il en est advenu. Les Allemands ont constitué les deux plus forts groupes touristiques européens pendant que les Français, pourtant très bien placés à l époque, se sont délités, ont disparus ou ont été repris… Autrement dit : stop ! Il est temps de réagir».
Propos recueillis par Bertrand Figuier