Pierre Henri Gourgeon a été au fond bien pratique. Il était d’un abord un peu rébarbatif, tout au moins en public, il avait un langage abrupt et ses relations sociales ont été, dans la maison qu’il dirigeait, d’une grande indigence. Sa maladresse dans la nomination du nouveau dirigeant d’Air France a entrainé sa chute, demandée d’ailleurs par celui qui l’avait fait nommer : Jean Cyril Spinetta.
Enfin, pour couronner le tout, son comportement personnel tant pour obtenir des faveurs sur des billets gratuits en période d’embargo que pour conserver contre vents et marées une indemnité de non-concurrence qui ressemblait furieusement à une prime de sortie, a été très mal accueilli aussi bien par les salariés du groupe que par les médias et par les clients de la compagnie.
Cerise sur le gâteau, la compagnie qu’il dirigeait s’est enfoncée, pendant sa direction, dans des pertes considérables, capables même de mettre en péril le transporteur national. Autant dire que son bilan tant personnel que professionnel est carrément négatif. Il fait donc un parfait bouc émissaire pour justifier les mesures que Alexandre de Juniac est amené à prendre.
Mais s’il a sans aucun doute une grande part de responsabilité, il n’est pour autant pas le seul. La politique qu’il a menée a été endossée par tous les responsables d’Air France et d’abord par le Président du groupe qui l’avait fait nommer à ce poste.
Si l’on recherche les causes de la situation que doit affronter l’actuelle direction, on peut les regrouper en deux grandes classes. Certes il y a tout d’abord le comportement traditionnel de toutes les grandes compagnies aériennes vis-à-vis de leur histoire. Son poids est non négligeable et elle explique en grande partie les surcharges de personnel qui sont le fait non seulement d’Air France, mais de toutes les compagnies de cette génération, compagnies américaines comprises. Ces dernières ont eu recours à la chirurgie lourde pour se délester d’une partie importante de leur personnel et, pour ainsi, restructurer leurs entreprises. Elles ont bien été aidées en cela par la formule du « Chapter 11 » qui est ni plus ni moins qu’un dépôt de bilan aménagé. Mais cette disposition administrative ne peut être appliquée en France. Le problème reste donc sans solution brutale, il faut en passer par le consensus avec les syndicats.
Il y a plus grave. C’est l’aveuglement des responsables pour ne pas dire leur autisme devant la montée en puissance largement prévisible des transporteurs « low costs » et les opérateurs du Golfe. La politique adoptée, afin de repousser le danger, a été d’étendre le périmètre de la compagnie en lui faisant adopter la stratégie de transporteur global. Autrement dit il convenait d’être présent sur tous les marchés et dans tous les segments de clientèle. Certes une première brillante étape a été réussie par le rapprochement avec KLM. Mais une fois les avantages tirés d’un programme d’exploitation aménagé pour utiliser au mieux les capacités des deux transporteurs, les difficultés sont venues.
Et les dirigeants n’ont eu de cesse que de diminuer leur qualité de produit, tout au moins par rapport à leurs grands concurrents pour baisser leurs coûts, cette politique étant censée éviter les douloureux sacrifices internes. C’est ainsi que progressivement la compagnie a perdu son excellence sans s’en apercevoir ou sans vouloir regarder la réalité en face. La clientèle de haut de gamme a alors préféré choisir des transporteurs concurrents dont le produit était meilleur et le marché de bas de gamme a choisi les transporteurs censés proposer des tarifs plus bas, ce qui a conduit la compagnie à proposer des prix équivalents sans pour autant qu’ils couvrent les coûts.
Voilà ce que c’est de vouloir courir tous les lièvres à la fois sur un périmètre trop étendu. Cette position stratégique était tout simplement trop difficile à défendre. A ne pas vouloir affronter la réalité, à vouloir nier les résultats des autres compagnies en les attribuant à des aides qui n’ont jamais été prouvées, les dirigeants d’Air France ont rendu un bien mauvais service à leur compagnie.
Sont-ils les mieux placées maintenant pour conduire le nécessaire redressement ? La question peut être posée. Certes, personne ne met en cause leur professionnalisme technique, mais pour réussir la performance qui est attendue il faudra adopter une attitude diamétralement opposée à celle qui a prévalu jusqu’alors.
Le bouc émissaire est bien pratique et les anciens ne s’y sont pas trompés. Il porte tous les défauts et il préserve les autres acteurs. C’est peut-être ainsi que Pierre Henri Gourgeon aura rendu le meilleur service à sa compagnie.
Jean-Louis Baroux