Le BAR dit non à la double caisse


jean pierre sauvage-president du BAR- CoCoAero-redevances aeroportuaires

 

 

 

 

 

Alors qu’ADP vient de présenter son projet de développement 2016-2020, le CRE3, le Président du BAR, Jean-Pierre Sauvage (photo), nous présente son point de vue, finalement très proche de ce que revendique à l’échelle européenne Mme McCall, la Dg d’EasyJet.

 

La Quotidienne : Où en êtes-vous avec ADP et la négociation du CRE 3 ?

Jean-Pierre Sauvage : Nous entrons dans la phase de présentation de nos objections devant la Commission Consultative Aéroportuaire (CoCoAéro).

Le moins qu’on puisse dire c’est que nous avons de profondes divergences avec ADP, notamment sur le plan financier. Au-delà des aspects strictement tarifaires dont nous parlerons plus tard, je vais d’abord évoquer la question de la fameuse « double caisse » qui a été instituée pour le CRE 2 couvrant la période 2010-2015.

ADP sépare les recettes dites d’activités régulées comprenant les redevances aéronautiques ainsi que les parkings, et celles des activités non régulées, comme l’immobilier et les commerces, qui abondent la « 2nd caisse ».

Or chez ADP, la base des actifs régulés qui sert également aux opérations non régulés est financée à 100 % par les activités régulées qui représentent les deux tiers des ressources totales. Autrement dit, les redevances supportées par les compagnies financent tout un tas de services à des passagers qui sont d’abord là pour elles.

Pour vous donner une idée précise des choses, l’Ebitda d’ADP a grimpé de 3,4 % en 2014, pour atteindre 1,1Mds €, soit 39,7 % du chiffre d’affaires ; mais sur un résultat net en hausse de 33,3 %, à 400M €, le résultat net de l’aéronautique est de 21,7 % alors que celui des commerces, juteuses cash machine, fait ressortir un Ebitda de 58,6 % !

C’est un déséquilibre inacceptable qui nous parait essentiel de corriger. Le 24 octobre dernier, la CoCoAéro a d’ailleurs émis un avis très sévère sur l’analyse et la transparence comptable de la gestion d’ADP dans l’allocation des ressources, des actifs et des charges au périmètre régulé. C’est sur cet avis, en partie, que nous nous appuyons pour contester le projet d’ADP.

L. Q. : Que préconisez-vous ?

JP. S. : Un retour à la caisse unique. Ce système a duré jusqu’en 2009 et sa disparition a eu un impact structurel et financier si profond qu’elle a fini par provoquer un déséquilibre grandissant entre le coût moyen du capital nécessaire aux investissements et le taux de retour attendu. Un phénomène qui n’existait pas avant…

Dans son projet, par exemple, ADP calcule le niveau de ses redevances en se basant notamment sur le coût moyen normal du capital et sur un taux de retour à 6,7 %.

En analysant le dossier public de consultation du CRE 3 présenté par ADP, un taux de 3,7 % nous paraît plus raisonnable et surtout plus juste à l’égard des compagnies, à condition bien sûr que ce soit justifié par une réelle amélioration du service aux compagnies.

L. Q. : Justement, ADP prévoit d’investir 3,1 Mds € sur Roissy et Orly ; qu’en pensez-vous ?

JP. S. : En réalité, ces investissements ne prévoient pas des améliorations des capacités opérationnelles notables. Il n’y a pas de grands projets mais des aménagements sectoriels, comme la maintenance, où ADP va investir 1 Mds €, où locaux, sur Roissy et sur Orly où l’investissement annoncé semble démesuré par rapport au potentiel réel de développement à court et moyen terme de la plateforme.

Non seulement, on vient de le voir, les paramètres financiers sont très contestables mais en plus la chaîne de valeur, comme cela est justement souligné dans le rapport Le Roux, est particulièrement déséquilibrée au détriment des compagnies aériennes. Nous demandons donc une meilleure appréciation des charges et une approche plus modérée de la rémunération du capital. Il y a beaucoup d’argent en jeu… Nous voulons bien financer mais à condition d’obtenir un juste retour pour nos efforts.

L. Q. : Quand vous parlez de rémunération du capital, vous parlez de l’état actionnaire… Il a besoin d’argent en ce moment…

JP. S. : D’un côté l’État est le régulateur. De l’autre, il est aussi un actionnaire majeur, à travers l’Agence des Participations de l’Etat (APE) qui détient 50,6 % des parts d’ADP et exige en général un dividende équivalent à 60 % du bénéfice net.

Coincé entre ces deux rôles plutôt contradictoires, l’État devrait quand même tenir compte de notre point de vue. Il s’agit tout de même de définir le niveau de redevance pour les 5 ans à venir. Sachant qu’on ne peut pas partir à la hausse, on peut contester la proposition d’ADP d’augmenter annuellement les redevances aéronautiques de 1,75 %, hors inflation, alors que les paramètres financiers dont nous venons de parler justifient une baisse des redevances de l’ordre de – 5 %. C’est un delta important qui peut atteindre jusqu’à 90M € aux compagnies alors qu’il serait relativement gommé si l’on revenait à la caisse unique.

Dans son projet, avec double caisse, ADP parie sur une convergence de ROCE et de CMPC (WACC) en 2020, c’est-à-dire à la fin de l’exercice du CRE3 ; en fait ces deux ratios financiers étaient relativement proches dans la caisse qui a couvert le premier CRE 2005 – 2009. Pourquoi dans ces conditions ne pas revenir tout simplement à ce mode de fonctionnement économique ?

L. Q. : Carolyn McCall, la Dg d’EasyJet critique la productivité des aéroports européens ; est-ce aussi un point de discussion avec ADP ?

JP. S. : C’est le volet coût des « opex », comme on dit dans l’aérien.

Effectivement, nous avons des choses à dire. Juste un exemple : dans la structure des charges d’ADP, le personnel représente 42 %… Même chez Air France, c’est beaucoup moins, autour de 30 % si j’en juge par le bilan publié… Ça pose un problème quand même.

Autre exemple : avec 4 pistes, ADP totalise 63 M de passagers et Heathrow 73 M, avec 2 pistes seulement… Allez comprendre !

Oui, pour nous, la productivité opérationnelle peut être améliorée.

L. Q. : Parlons enfin des aspects tarifaires…

JP. S. : C’est effectivement un autre point de discorde avec ADP qui joue subtilement sur les chiffres. Certes il est prévu une légère minoration des redevances sur les passagers internationaux, qui viendra s’ajouter à l’exonération de la taxe sur les passagers en correspondance décidée par l’État, bien inspiré pour une fois ; mais dans le même temps, on fait un saut spectaculaire de 24 % sur les redevances d’atterrissages et de stationnement qui passeraient entre 2015 et 2016 de 350 à 425 millions d’euros… Mais je le répète, tout ceci est d’abord conditionné par la manière dont ADP gère ses recettes… Réglons d’abord cette question des caisses.

L. Q. : J’imagine que vos critiques ne s’arrêtent pas là…

JP. S. : En effet, on pourrait aussi parler de la gestion du ciel européen et des surcoûts qu’elle entraine ; ou du maillage étonnant des quelques 145 aéroports français dont 40 en territoire métropolitain, affichent des trafics inférieurs à 100 000 passagers. Ceux-ci représentent à peine 0,4% du trafic total aérien et fonctionnent grâce aux 100M € perçus au titre de la péréquation abondée par la surtaxe d’aéroport que les passagers payent au départ des grands aéroports parisiens et régionaux. On pourrait citer beaucoup d’exemples dont celui des plateformes de Dijon et Dole qui vient d’être épinglé par la Cour des Comptes dans son récent rapport annuel.

Propos recueillis par Bertrand Figuier





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