Avoir une bonne idée et se faire beaucoup d’argent sans innover ni prendre de risque. Certains en rêvent. Airbnb l’a fait. Les fondateurs d’Airbnb ont de quoi être satisfaits. Crée en 2008, leur site propose aujourd’hui plus de 1,5 million d’annonces dans 34.000 villes et 192 pays.
À la base de leur business, une bonne idée : permettre à n’importe quel particulier de louer un bien immobiliser pour se faire un peu d’argent ou séjourner à l’étranger. Le genre d’idée qui aurait pu donner lieu à la création d’une entreprise collaborative si les fondateurs d’Airbnb ne l’avaient transformé en une société de courtage extrêmement profitable mais surtout totalement imprudente.
Non que le risque n’existe pas –il est même plutôt élevé – mais les dirigeants se sont arrangés pour le faire porter intégralement par d’autres qu’eux.
Si on y ajoute une main d’œuvre gratuite, une valeur technologique proche de zéro, on comprend aisément combien le succès d’Airbnb reste fragile.
Commençons par le risque.
Le business de Airbnb entraîne les utilisateurs à se placer dans une situation d’illégalité puisqu’il s’agit d’une source de revenus considérables non soumise à déclaration pour la majorité des utilisateurs du site. Ce n’est pas un vague soupçon mais une réalité de notoriété publique.
Dans une étude réalisée en 2014, seuls 15 % des utilisateurs de plateformes du type Airbnb avaient l’intention de déclarer les revenus tirés de leur location. À Paris, un tiers des offres relèveraient du marché noir. À Barcelone, le phénomène a pris une telle ampleur que la municipalité dirigée par Ada Colau, l’égérie des indignés, en a fait un combat à part entière. En décembre, elle a lancé plusieurs procédures contre Airbnb «pour avoir fait la publicité de logements qui n’étaient pas inscrits au registre du Tourisme de Catalogne ou pour ne pas avoir répondu aux exigences de l’administration».
Des clauses bien verrouillées
Outre la faiblesse du montant des pénalités demandées, la menace n’inquiète pourtant pas Airbnb. Dans ses conditions générales, l’entreprise prend bien soin de préciser qu’elle«n’exerce aucun contrôle concernant le comportement des hôtes, des voyageurs et autres utilisateurs du site, de l’application des services ou concernant les hébergements».
En conséquence de quoi Airbnb «exclut toute responsabilité relative aux annonces et aux hébergements». On ne saurait être plus clair : Airbnb n’est responsable de rien. Quant à la fameuse assurance couvrant jusqu’à 800.000 euros de dégâts, une lecture attentive des conditions a de quoi refroidir: cette assurance ne fonctionne qu’en corollaire de l’assurance habitation, uniquement pour les logements jugés «admissibles» (pas de sous-location) et dans les cas où un arrangement de gré à gré n’a pu se faire. Autant dire que ceux dont l’appartement a été saccagé rament pour se faire indemniser…
Tout ceci n’empêche pas l’entreprise de prendre des commissions au passage pour le fruit de son travail (6 à 12 % du prix de la chambre). Quoi que le mot «travail» puisse paraître quelque peu excessif.
Pour gérer la France qui constitue quand même son second marché après les États-Unis, l’entreprise n’emploie que… 28 salariés. Oui, vous avez bien lu: 28. Pourquoi en faudrait-il plus d’ailleurs? Comme Uber, Airbnb fait travailler gratuitement une masse de particuliers qui ne demandent aucun retour sur les bénéfices d’une entreprise qui se dit pourtant «collaborative» mais qui n’est en réalité pas très partageuse.
Pire, Uber et Airbnb font miroiter à des centaines de milliers de gens la possibilité de monter un petit business avec quelques chances de succès, même s’il faut pour cela se mettre un «peu» dans l’illégalité.
Une valeur technologique proche de zéro
Quand aux nouvelles technologies dont sont friandes les start-up, inutile de les chercher chez Airbnb. En fait, il n’y en a aucune. Le site est une plateforme d’échange comme il en existe tant, sans originalité, ni fonctionnalité particulières. Autant dire que Airbnb a toutes les apparences d’une affaire de marketing savamment ficelée. Et sans les inconvénients de l’économie collaborative !
Les offres déposées par des amateurs ne cessent de reculer au profit des offres de professionnels. À New York, ces offres représentent désormais 70 % du total des annonces. Après tout pourquoi pas. Mais cela vaut-il la valorisation de 24 à 25 milliards de dollars (si l’entreprise était introduite en bourse)? Que sait-on vraiment de la rentabilité de l’entreprise sinon ce qu’elle veut bien en dire et promettre, à savoir une profitabilité… pour 2030 ?
Sur le net, tout est virtuel. Y compris les chiffres. Et pour cause.
Les cycles de vie des entreprises sont très courts. Qui se souvient de Lycos et de Wanadoo? Qui se rappelle de la position dominante de Yahoo avant que Google ne prenne la quasi-totalité du marché ? Qui sait que la valeur d’AOL estimée à 160 milliards de dollars en 2000 a finalement été soldée 37 fois moins en mai dernier ? Le succès de Airbnb est du même tonneau. Aussi fragile, voire même plus si l’on tient compte du caractère faiblement innovant de la plateforme et de l’absence d’intérêt des technologies employées.
Rien de plus difficile que de tenir la distance avec une idée, fut-elle très bonne (ce qui est en l’occurrence le cas). Les concurrents ont tôt fait de comprendre et de fourbir leurs armes. Et les réactions de grandes villes comme New York ou Barcelone ne sont qu’un indice parmi d’autres d’un ras-le-bol des municipalités face au détournement du marché résidentiel à des fins touristiques.
Un vent qui commence à tourner
Face à une économie qui fait peser tous les risques sur les particuliers et repose en grande partie sur un marché noir de la location, les pouvoirs publics se réveillent pour envisager d’encadrer plus fortement cette économie très particulière. Depuis le 10 septembre 2015, les habitants de la ville de Virginie, Charlottesville, qui souhaitent louer leur logement sur Airbnb doivent au préalable se procurer une licence d’exploitation professionnelle. Au Québec, le ministre du Tourisme, Dominique Vien, a exprimé le souhait que la réglementation se durcisse concernant la location par le biais de courtiers de logement comme Airbnb.
À Paris, la municipalité vient de lancer une vague de contrôle dans 80 immeubles des Ier et VIe arrondissements pour débusquer les multipropriétaires. Enfin, récemment Édith Ramirez, la présidente de la FTC, organisme chargé de protéger la concurrence et les consommateurs aux États-Unis, a ainsi estimé qu’il «pourrait y avoir un besoin pour une régulation sous une forme ou sous une autre». Pour que les États-Unis, pays d’origine de Airbnb et terre de libéralisme, en viennent à se poser la question c’est vraiment que le problème commence à se faire lourdement sentir…
Richard Vainopoulos