« Le comble ? Payer Google pour acheter sa propre marque », par Alain Capestan (VDM)


alain-capestan-voyageurs-du-monde-googleJe commercialise depuis plus de 20 ans des services auprès du public et depuis toutes ces années, je concentre tous mes investissements de communication sur un élément sémantique primordial, un groupe de mots qui confère à ma société une identité, une réputation et qui porte ses savoir-faire.

Bref, j’ai construit une marque !

Comme tout entrepreneur prudent, j’ai protégé ce trésor par de multiples actions, de telle sorte que personne ne puisse jamais l’utiliser ou s’en prévaloir. Jamais !

Et puis, un jour, un funeste jour, alors que je flânais sur la toile pendant le week-end, j’ai, sans trop savoir pourquoi, tapé cette marque dans la barre de requête de mon moteur de recherche préféré.

Là, qu’ai-je vu apparaître ? Une publicité pour un de mes concurrents, et pas le plus sympa d’entre eux de surcroît ! Stupeur et tremblement !

Abasourdi je convoquai dès le lendemain à la première heure un pro du référencement et mon avocat.

Je reproduisis « en live » l’expérience pour leur faire constater l’ignoble infamie !

Cette fois, ce sont les annonces de quatre de mes confrères qui apparaissaient après avoir tapé ma marque chérie dans la barre de requête de ce moteur dont la pertinence espiègle commençait sérieusement à me porter sur le système !

Tentant maladroitement de calmer une fureur à croissance exponentielle, mon avocat m’expliqua alors qu’effectivement, jusqu’à 2010, les textes légaux en vigueur interdisaient de tels agissements, mais qu’à force de lobbying, un arrêt de la cour de justice européenne (1) et blabla, blabla…

Le pro du référencement argua du fait qu’un internaute qui tape une marque ne veut pas nécessairement accéder aux seuls services de cette marque mais que, peut être inconsciemment, et même si on n’en est pas certain, il sera content de voir apparaître d’autres marques et blabla, blabla….

Rien ne pouvait me convaincre, ni la pédagogie juridique de l’avocat, ni les délires sémiologiques et linguistiques du référenceur. Rien !

Une mécanique machiavélique

C’en était trop et pas besoin de relire Ferdinand de Saussure ou Roland Barthes pour s’apercevoir de l’étendue des dégâts potentiels pour mon entreprise et pour des milliers d’autres.

Plus on me renseignait plus j’entrevoyais les contours de cette mécanique machiavélique. Je percevais au fur et à mesure de mes échanges les immenses enjeux sous-tendus par l’existence des marques dans l’univers du moteur et l’incompatibilité de leur protection avec les logiques algorithmes et financières de son développement.

Un programme d’achat de mots clefs met aux enchères des mots pour que les annonceurs puissent faire apparaître des liens vers leurs sites internet. Or, la protection juridique dont bénéficiaient les marques (qui sont aussi des mots) interdisait au moteur d’en tirer des revenus.

Le « moteur » organise la notoriété

Il fallait donc obtenir l’abolition de cette protection pour s’ouvrir le marché des marques. Plus de protection des marques, plus d’obstacle, CQFD. Par ailleurs, les marques constituaient un des rares moyens permettant aux entreprises de s’affranchir de l’emprise du moteur.

Avant cette décision inique, on pouvait encore opposer la notoriété du monde réel à celle fabriquée par le moteur et son diktat de la popularité. C’est désormais terminé, les carottes sont cuites. Il n’y a de notoriété sur le web que celle décidée, organisée et commercialisée par le moteur, un point c’est tout !

Payez pour acheter votre marque...

Alors que faire ? Et bien fort heureusement, et contre toute attente, le moteur est magnanime, il a la victoire modeste. Alors il vous conseille d’acheter votre propre marque dans le programme d’achat de mots clefs pour bien vous protéger de vos concurrents et, très accessoirement, faire grossir un peu plus ses revenus ! Sans blague, avec le poison, le moteur livre donc l’antidote ! Payez pour acheter votre marque ou souffrez de faire le bonheur de vos concurrents.

Comment l’Europe a-t-elle pu se rendre complice d’un tel détournement ? Le trafic naturel et donc gratuit sur les marques est devenu un trafic très lucratif bien que totalement illégitime pour le moteur, mais aussi une foire d’empoigne qui favorise les abus et les contrefaçons en tous genres. Comment avons-nous pu laisser passer cela ? Priver les marques de leur droit à la protection, revient à nier le monde réel en considérant que la seule notoriété qui vaille est celle fabriquée par l’algorithme du moteur.

En niant les marques, nous nions l’identité des entreprises. Quelle sera la prochaine étape ? Les noms propres ? Certains d’entre eux sont justement des marques.

Alain Capestan
Directeur Général du Groupe Voyageurs du Monde

(1) Arrêt de la CJUE du 23 Mars 2010





    3 commentaires pour “« Le comble ? Payer Google pour acheter sa propre marque », par Alain Capestan (VDM)

    1. Votre marque comporte 2 mots génériques, çà aide pas.
      Mais en exemple les chaînes hôtelières protègent bien leurs marques contre le « brandjacking » que pratique ou pratiquait Booking.com et consorts.

    2. Bonjour,

      Je suis tout de même étonné par cet article, je ne suis ni juriste, ni expert en SEO mais il est tout à fait possible de se réserver le droit d’utiliser sa marque pour les annonces adwords dans google (https://support.google.com/adwordspolicy/answer/6118?hl=fr). Par contre il me semble que la jurisprudence suite à l’affaire vuitton permet à un revendeur d’utiliser une marque déposé si celui-ci est effectivement autorisé à revendre ses produits (par exemple une agence de voyage peut utiliser le mot clé « air france » si celle ci dispose effectivement de plaques Air France.

      Avez-vous déja rempli le formulaire de protection des marques (https://support.google.com/adwordspolicy/answer/2562124?hl=fr) ?

      Dominique

      • Oui Dominique , vous avez raison. Il a toujours été admis qu’un revendeur puisse acheter en adwords la marque dont il revend les produits. Par contre pour les marques qui assurent leur distribution elles mêmes sans revendeur c’est différent. Il n’y a aucune raison valable pour qu’une marque achète en adwords une autre marque (souvent concurrente d’ailleurs) , si ce n’est pour créer de la confusion et détourner son trafic naturel.
        Alain Capestan

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Sur le même sujet

Transport aérien : Stop à l’écologie punitive

Transport aérien : Stop à l’écologie punitive

3005 vues
2 décembre 2024 2

C’est une affaire entendue : la décarbonation totale du transport aérien en 2050 ne...

Italie : Le tourisme à Pompéi franchit les limites

Italie : Le tourisme à Pompéi franchit les limites

3584 vues
27 novembre 2024 0

En juillet/aout dernier, c’était le chaos. Quatre millions de touristes ont en effet visité...

Ryanair sans Etat d’âme

Ryanair sans Etat d’âme

3564 vues
26 novembre 2024 1

Ryanair menace de réduire de moitié ses vols en France, en raison de la...