Malgré les nombreux événements qui ont pénalisé son activité ces derniers mois, le Président de Thomas Cook France, Nicolas Delord, estime que son groupe se sort plutôt bien d’une situation compliquée. Les circuits et certaines destinations, l’Europe du sud ou le long courrier par exemple, s’en tirent même avec les honneurs. Pour les saisons 2015-2016, nous lui avons demandé quelle était sa vision du marché.
La Quotidienne : Après les six ou sept mois agités que nous avons connu cette année, dans quel état est, selon vous, le marché français du tourisme ?
Nicolas Delord : Il est atone, pour ne pas parler de décroissance. Trop de facteurs se conjuguent pour qu’il en soit autrement. La croissance économique n’est pas là, et tant qu’on ne verra pas, comme chez certains de nos voisins, les réformes qui redonnent des marges de manœuvre aux entreprises, ça pèsera sur les salaires et la consommation.
Avec les événements tragiques qui se succèdent depuis quelques mois, on navigue face au vent et ça complique encore le jeu.
Aujourd’hui, les consommateurs hésitent à voyager « en général » et vers les destinations du Moyen-Orient en particulier. À cela s’ajoute l’évolution des modes de consommation, avec les AirBnb, les Uber etc… qui font du consommateur un fournisseur supplémentaire et un concurrent potentiel.
LQ. : Bref, nous vivons une transition profonde…
ND. : Oui, mais comme d’autres secteurs ont pu la vivre avant nous, avec un changement de paradigme très fort. En partant du digital et des capacités actuelles de mises en relations, les gens n’ont plus besoin d’intermédiaire. Ça touche tout le monde, pas seulement le tourisme ; même iTunes y est confronté depuis l’arrivée de nouveaux acteurs qui forfaitisent la vente de musique sur un volume et une période, mais plus du tout à l’unité : un morceau, un album…
Les acteurs traditionnels doivent donc se réinventer, sans copier forcément les modèles qui apparaissent, mais en montrant clairement la valeur ajoutée qu’ils apportent. Ce n’est pas rien car, dans le C to C, il y a beaucoup de valeur ajoutée.
LQ. : Quelles sont les pistes potentielles pour traverser au mieux ce cap ? Les services de conciergerie par exemple ?
ND. : C’est une piste mais ce n’est pas la seule. Pourtant la question n’est pas de tellement savoir quel élément ajouter pour se différencier. C’est plutôt de connaître le besoin réel du client. Il a besoin d’être rassuré, de parler, d’échanger avec quelqu’un qui en sait autant que lui, mais de manière différente.
TO et distributeurs ont tout intérêt à mettre les gens en contact… Le voyage, c’est toujours des impondérables, il faut donc de l’information. D’un autre côté, internet, c’est fatiguant et l’on se noie facilement dans l’océan d’informations qu’il propose. Le consommateur a donc besoin d’un « expert » et nous devons savoir comment lui apporter ce qu’il cherche.
À priori, il y a deux solutions : soit on rapproche sa demande et notre savoir-faire pour travailler « en collaboration » ; soit on s’occupe de tout, dans le détail Dans tous les cas, ça a un prix. D’ailleurs, on commence à voir de plus en plus de gens qui reviennent en agence et qui sont prêts à les payer pour leur expertise.
LQ. : Dans cette perspective, quels sont les leviers de croissance potentiels ?
ND. : Une offre différenciée ; une relation client quasi permanente ; plus de points de ventes ; un digital puissant et qui ne se limite pas à la commercialisation des produits mais qui permette d’enrichir concrètement la relation client… Mais l’innovation produit est un sujet majeur, à travers l’expérience client et son contenu en particulier. À cet égard, on est loin d’avoir exploré à fond tout le potentiel d’un club ou celui d’une relation client réellement « permanente », surtout avec le panel d’outils technologiques qui est à notre disposition.
LQ. : Dans cette transition, quels sont les atouts de Thomas Cook France ?
ND. : Nous avons de belles marques, Jet tours et Eldorador ; un bon rapport qualité/prix ; des équipes de vendeurs dont le professionnalisme est reconnu ; nous appartenons également à un groupe européen puissant qui se donne les moyens d’anticiper son développement. Et puis, sur la France, nous avons un réseau d’environ 500 points de ventes.
Quant au digital, nous avions un certain retard mais nous le rattrapons rapidement.
LQ. : Justement quelles sont les principales actions prévues pour les mois à venir ?
ND : Le digital évidemment. Nous sommes de fervents défenseurs de la distribution traditionnelle, mais nous voulons aussi garder le fil constamment avec le client, avant, pendant et après son voyage. D’où les nouveaux sites BtoB Jet tours et Thomas Cook, d’où aussi les sites mobiles, les applications « Travel Insight » et « Travel + »…
On va aussi améliorer le site grand public, avec l’introduction d’un « compte client » qui permettra de mieux gérer les dossiers entre le site web et les agences du groupe. Le système CRM va aussi évoluer pour devenir une pièce maitresse de la relation client que nous voulons mettre en place. Ensuite, nous allons renforcer encore le nombre de points de vente, en particulier par la franchise, et développer un nouveau concept d’agences Thomas Cook qui fera plus de place au digital. Un showroom et une douzaine de points de ventes « nouvelle génération » seront prêts juste pour Top Résa.
LQ. : Et pour la production ?
ND. : Ce sera d’abord le développement des clubs, premium avec Eldorador, et entrée de gamme avec Jumbo.
Sur l’hiver prochain, notre principale nouveauté sera l’ouverture de la Laponie, à Yllas Saaga, l’unique station finlandaise qui permet de cumuler le ski alpin avec les activités nordiques plus classiques. En revanche, l’été 2016 apportera beaucoup de nouveautés que nous dévoilerons bientôt.
Dès cet hiver également, nous allons étoffer le spectre et la profondeur de notre offre circuit et long courrier, avec de nouvelles destinations, comme les Philippines ou la Colombie, et des hôtels aux standards plus élevés ; nous cherchons à monter en gamme mais en restant accessible. Sur nos produits phare, nous développerons à destination un service client francophone qui montrera bien quelle valeur ajoutée le TO peut apporter.
De plus, avec l’offre « Privé + », la plupart nos circuits pourra être privatisée et permettre aux familles par exemple de se retrouver entre elles.
Dernière pierre de l’édifice pour le BtoB, « Jet tours + », qui donne désormais davantage de solutions aux agences pour étoffer le contenu de leurs ventes en accédant à notre offre de package dynamique.
Propos recueillis par Bertrand Figuier