Fabrice Dariot, le Pdg de Bourse-des-vols.com [1], agence en ligne bien connue de nos lecteurs, pousse un coup de gueule contre les miles des compagnies aériennes. Argument à la clé, il y voit un système préjudiciable à leur valeur ajoutée des agences de voyage et suggère au Snav d’ouvrir le dossier.
La Quotidienne : Vous suggérez de fiscaliser les miles offerts par les compagnies aériennes. Pourquoi ce coup de gueule ?
Fabrice Dariot : Précisons immédiatement les choses. Quelqu’un achète et paye lui même un service ou un produit ; au passage, il bénéficie d’un geste de fidélisation. Très bien, il n’y a rien à redire. En revanche quand l’usage de la fidélisation bascule d’une personne morale vers une personne physique, autrement dit quand celui qui paye n’est pas celui qui en profite, là, il y a un problème.
Qu’une entreprise qui achète 23 billets Hambourg-Pékin en reçoive un 24ème gratuitement, pas de problème. C’est une personne morale et elle a le droit d’en faire ce qu’elle veut tant que c’est elle qui en a l’usage. C’est ce que certains pays du nord de l’Europe on choisi de faire.
Plus au sud, la question reste ouverte, avec des effets pervers. En particulier auprès des agences de voyages. Pour l’essentiel, leur valeur ajoutée est constituée par le conseil qu’elles apportent aux clients afin d’optimiser leur budget.
Or que devient-elle, cette valeur ajoutée, lorsque l’entreprise n’a pas le meilleur produit au meilleur prix, tout simplement parce que son employé surveille son compte de miles et qu’il privilégie la compagnie qui l’arrange pour partir à l’œil en vacances.
Même quand l’entreprise a une politique voyage très rigoureuse, il y des braconniers qui parviennent à jouer au mieux de leurs intérêts particuliers… Et c’est l’agent de voyage qui passe pour incompétent…!
LQ. : Alors que chacun se plaint du matraquage fiscale, vous allez carrément à contre-courant…
FD. : Je ne suis pas un fan de la fiscalité, mais je crois que le SNAV pourrait sans doute trouver là un levier de négociation pour détaxer le travail et redonner de la marge aux agences de voyages. Une baisse de nos charges, et pour compenser : soit le gouvernement interdit la bascule des miles de l’entreprise vers l’employé, soit il les fiscalise ; d’autant plus qu’ils servent souvent de bonus discret ou déguisé aux cadres qui voyagent beaucoup.
On parle quand même de centaines de millions de miles et de milliards d’euros… Ce n’est pas négligeable.
LQ. : Fiscaliser les miles, ça veut dire les valoriser précisément ; l’impact comptable pourrait être lourd pour les compagnies aériennes…
FD. : Quand on s’est engagé à donner à des tiers un service marchand, ça doit figurer clairement dans le bilan. Tous ces millions de miles ne seront pas consommés, pas tous au même moment et certains peuvent même être réglés en numéraire…
[2]Je sais très bien la complexité de la chose. Mais finalement, c’est un peu comme pour l’assureur qui jongle avec ses primes, son risque et ses probabilités de sinistres.
C’est un calcul assez courant, y compris en tenant compte du taux de conversion. Il y a des commissaires aux comptes qui sont capables de faire ce genre de travail et de valoriser précisément le montant total des miles en cours ; c’est une question de sincérité des comptes et ils en sont responsables. Cela étant, c’est la cuisine des compagnies aériennes et ça ne me regarde pas.
Ce qui m’intéresse en l’occurrence, c’est le préjudice fait à la valeur ajoutée des agences de voyages. Ce préjudice, à mes yeux, vaut largement une prise de position syndicale.
LQ. : C’est le contribuable qui ne sera pas content, cadre ou entreprise…
FD. : Le contribuable « physique » n’aura plus intérêt à jouer avec ses miles ; c’est tout. Pour les entreprises, elles risquent surtout de faire de sérieuses économies et, si leur budget voyage est conséquent, cela se sentira vite en bas de bilan. Combien de fois vend-on des billets chers au lieu du bon billet au bon prix ? Sans compter que cela aura aussi un impact significatif sur la tarification des vols.
Et puis, il faut bien le dire aussi, ce système profite à une oligarchie de compagnies aériennes qui a les réseaux et les capacités suffisantes pour proposer des miles. Vis-à-vis de transporteurs plus modestes, cela leur donne un véritable avantage qui introduit mine de rien une réelle distorsion de concurrence.
LQ. : Pourquoi êtes-vous le seul à soulever ce lièvre ?
FD. : Ne soyons pas hypocrites ; c’est parce qu’individuellement, nous en profitons tous un peu. On est tous titulaires de carte. Il n’empêche, on aurait tous intérêt à être clairs avec ça. La baisse des charges de nos entreprises est un enjeu bien plus important.
C’est un débat qui sera long et compliqué, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le lancer.
Propos recueillis par Bertrand Figuier