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Qui peut encore défier les compagnies du Golfe ?

Singapore Airlines vient de réaliser le plus long vol du monde en reliant Singapour à New York le tout en 17h25 minutes alors d’ailleurs que la durée prévue était de 18h45 minutes. C’est-à-dire que si la météo est favorable, on peut gagner plus d’une heure vingt minutes sur le parcours.

Bien entendu l’Airbus 350/900 était, pour l’occasion spécialement aménagé. En effet l’appareil est équipé de 67 sièges en Business Class et de 94 sièges en Premium Economy, soit 161 sièges en tout. Rappelons que la capacité de cet avion est de 366 sièges en configuration deux classes.

Autrement dit la compagnie a fait un choix d’espace puisque la densité est deux fois inférieure à la normale. Elle a de plus soigné les éclairages et le nombre de personnel de cabines. Il y avait 17 membres d’équipages dont 4 PNT (Pilotes) et 13 PNC soit presque un steward ou hôtesse pour 10 passagers.

Les 150 passagers qui ont effectué ce vol ont payé en moyenne 2.100 € en classe économique et 8.000 € en classe affaires. Voilà pour les aspects factuels de l’opération. Rappelons pour terminer sur ce sujet que Singapore Airlines n’est pas à son coup d’essai sur cette route. Elle l’avait pendant longtemps desservie avec un Airbus 340/500, mais elle a dû abandonner l’opération devant les coûts d’opération de l’appareil décidément trop élevés.

Il n’est pas certain que la remise en route de cette desserte soit une bonne nouvelle pour les compagnies du Golfe. Ces dernières ont en effet tout misé sur leur capacité à échanger les populations « avionnables » de l’Asie avec les pays de l’Ouest. Elles ont, pour ce faire, créé les meilleurs aéroports en configuration « hub » du monde. D’ailleurs Dubaï, par exemple construit actuellement le plus important ensemble aéroportuaire de la planète appelé Dubaï World Central ou encore Aéroport International Al Maktoum.

Cet énorme outil dépasse tout ce qu’on a vu jusque-là. Il est dessiné pour recevoir 160 millions de passagers et 12 millions de tonnes de fret et pour cela il sera équipé de 6 pistes, 3 immenses terminaux, un parking souterrain de 100.000 places, le tout sur une surface de 140 km² à comparer avec les 32 km² de Roissy qui reste l’aéroport européen le plus étendu.

Et pour nourrir leurs ambitions, les transporteurs du Golfe ont passé des commandes massives tant auprès de Boeing que d’Airbus : 266 appareils long-courriers pour Emirates, 175 pour Etihad Airways et 201 pour Qatar Airways. Seulement il faudra bien arriver à les remplir, et cela ne s’annonce pas si facile tant les obstacles semblent s’accumuler.

D’abord les désirs des clients. L’arrivée de nouveaux appareils beaucoup plus performants et confortables permettent d’envisager le développement de transports de point à point sans passer par un « hub » ce qui constitue tout de même à la fois une contrainte pour les clients et un sérieux surcoût pour les opérateurs.

Singapore Airlines vient de rappeler aux concurrents du Golfe qu’une alternative existe et elle est d’autant plus à considérer que les très longs vols semblent intéresser essentiellement la clientèle affaires, celle qui fait vivre le transport aérien et pour laquelle toutes les compagnies se battent.

Il ne faudrait tout de même pas que les « hubs » ne soient fréquentés à l’avenir que par une clientèle d’entrée de gamme, car c’est alors toute l’économie de ce mode opératoire qui serait impactée.

A cette menace, se rajoutent les récents aspects géopolitiques. Le système opératoire des compagnies du Golfe repose sur le développement du concept d’ »Open Sky », autrement dit la liberté pour les opérateurs de desservir n’importe quelle ligne pourvu qu’ils disposent des «slots » dans les aéroports envisagés.

Seulement on semble s’acheminer vers une phase où les états vont se remettre à ériger des barrières à l’entrée de leurs territoires. Cela n’est bon pour personne, mais le populisme gagne dangereusement du terrain.

Il est donc à craindre que les droits de trafic se raréfient pour les Emirates, Quatar Airways et autres Etihad Airways alors qu’ils auront besoin de beaucoup plus de possibilités de dessertes s’ils veulent pouvoir utiliser les appareils commandés.

Et puis il faut reconnaître que l’entente n’est pour le moins pas cordiale entre les trois gros opérateurs. Le Qatar est mis à l’isolement par ses voisins. C’est comme si la France ne pouvait plus commercer avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, par exemple.

L’affaire est très sérieuse, même si les ressources gazières du pays lui permettent de surmonter cette crise.

Bref les difficultés s’accumulent sur les grandes compagnies du Golfe. Il sera très intéressant d’entendre ce que le CEO d’Emirates Sir Tim Clark aura à dire sur ces sujets lors du prochain APG World Connect, début novembre à Monaco.

Jean-Louis Baroux