La solitude d’un pilote d’avion… de chasse !
13 juillet 2016 François Teyssier Aucun commentaire People frêt aérien, pilote d’avion, toilettes 8241 vues
Un vieil adage définit le métier de pilote d’avion comme étant constitué de longues périodes d’ennui ponctuées parfois par de brefs moments de pure terreur. A la fin du siècle dernier, c’est-à-dire fin 1998, Patrick était en pleine nuit aux commandes d’un vieux DC 8 cargo chargé d’ananas. Il survolait le triangle des Bermudes au cours d’un douce nuit sans lune. Quelque part entre Porto Rico et Cincinnati. Prémonitoire sans doute.
C’était la dernière rotation d’une semaine éprouvante qui avait transporté l’équipage et ses cargaisons de New York à Bruxelles et retour, puis au Mexique et pour terminer les caraïbes. Patrick rentrait à la maison.
Tout l’équipage était bercé par le ronronnement des quatre réacteurs de l’avion. Une quiétude soulignée par le sifflement du vent glacé sur la verrière du cockpit.
Un tel environnement, lorsque vous y pensez vraiment, devrait être suffisant pour effrayer n’importe quelle personne normalement constituée. Car il n’est pas normal de se trouver dans une telle situation.
Avec le pilote automatique, il n’y avait pas grand chose d’autre à faire. Un fragile équilibre s’était installé. Quelque chose entre une solitude béate et en pointillé l’éventualité d’une mort instantanée, rapide en tout cas. Avec pour seule compagnie la paperasserie habituelle concernant vol, et quelques sandwiches au poulet. Tout cela à 10 000 m d’altitude et à une vitesse supérieure à 800 km/h. Dans une construction mécanique vieille de 40 ans environ.
Mais une tel mode de pensée est réservé aux philosophes. Les pilotes ne peuvent pas se permettre ce genre de considération. De toute façon, ce n’était pas précisé dans la procédure. Autant ne pas avoir trop d’imagination. Les pilotes sont des professionnels pragmatiques qui doivent faire confiance à la technologie et à leur bonne étoile. La foi du charbonnier en quelque sorte.
A 34 ans, Patrick était copilote. Il se disait de plus en plus souvent que son parcours professionnel devenait erratique. Lui se voyait de piloter des jets commerciaux étincelants vers des escales lointaines aux noms évocateurs. Il se demandait comment à cette période de sa vie, il pouvait se retrouver dans le rude monde du frêt aérien. Avec des horaires improbables, les reflets graisseux des projecteurs éclairant les entrepôts et le grondement constant des chariots élévateurs. Une insidieuse pointe de déception qui le taraudait en permanence quand il avait l’esprit inoccupé. Ce qui, Dieu Merci, n’était pas toujours le cas.
Mais tout était sous contrôle. Alors, il sortit de la cabine de pilotage, pour rejoindre une petite pièce attenante qui contenait le radeau de survie, un four, une glacière portable, un espace de rangement et les toilettes.
Ce qu’il envisageait de faire était simplissime. Prendre un soda dans un pack posé au sol et attaché par des liens plastiques solides, Du genre qui peuvent tuer les tortues marines. Telle était la pensée de Patrick à ce moment précis. Un peu philosophe quand même, mais il était surtout assoiffé.
Il détacha un bidon de soda et plaça le reste du pack au frais dans la glacière remplie de sacs de glaçons contenus dans des sacs plastiques. Mais, la glacière, était pleine et ne pouvait plus fermer. Il pensa qu’en enlevant un sac de glace le tour serait joué. Il referma le couvercle. Jusque là, toute allait bien.
Petit cause, grands effets – La genèse et les conséquences du drame
La décision de Patrick fut immédiatement prise. Il allait ouvrir le sac et jeter les glaçons dans la cuvette des toilettes.
Aussitôt dit, aussitôt fait. A partir de ce moment un dramatique enchaînement survint. La décision de Patrick semblait à priori banale.
Affolé, il ne savait plus à quelle check-list se fier ? Quelle vanne avait t‘il fermée ? sur quel disjoncteur avait-il appuyé ? Le blues angoissant
A partir de ce moment un bruit tout à fait inhabituel se produisit. Il entendit tout d’abord un puissant gargouillis qui s’amplifia et semblait provenir des entrailles mêmes de l’avion.
Que se passait-il ? Le bruit s’amplifiait, c’était désormais un grondement sourd, il sentait de fortes vibrations sous ses pieds. Le bruit devenait insupportable, angoissant.
Le dénouement fut apocalyptique. D’un seul coup, un flot de liquide bleu lagon fluorescent jaillissait et inondait la cuvette des toilettes. Une véritable cascade était projetée jusqu’à plus un mètre de hauteur sur tous les murs de la cabine. Se déversant telle la lave s’échappant du cratère d’un volcan. Répandant un voile de fumée ressemblant à de la vapeur. L’horreur.
Choqué, Patrick ferma les yeux, puis les ouvrit à nouveau. Pour la première fois de sa vie, il ne voulait pas concevoir l’inconcevable. Le résultat d’un acte qu’il pensait être banal s’offrait à ses yeux. C’est alors qu’il comprit ce qui s’était vraiment
Il n’avait pas jeté aux toilettes un simple bloc de glace. Mais un bloc de glace carbonique non étiquetté par erreur. Du dioxyque de carbone solide qui combiné à la soude caustique du liquide de nettoyage créa un mélange chimique aux réactions imprévisibles.
Ce qui aurait été une catastrophe domestique dans son appartement devenait dans l’ avion les prémices d’une catastrophe aérienne. Les flots de liquide subdivisaient en petites rigoles. Ils trouvaient un chemin dans toutes les trappes, tous les interstices de la cabine de l’avion. Une éruption en technicolor bleu des mers du sud qui s’insinuant lentement dans les entrailles et au travers des soudures de l’avion. En gelant tout sur son passage, les câbles comme les circuits électriques vitaux de l’avion.
Dans un accès de lucidité, il analysa que le flot de liquide ne s’arrêterait pas tant que le gaz carbonique ne serait pas totalement évaporé du réservoir de « la mort bleue. » Pendant ce temps, comme lors de concerts de rock and roll, la cabine de l’avion se remplissait petit à petit d’une fumée de vapeur blanchâtre.
Patrick décida d’en parler au commandant de bord. « Vite, j’ai immédiatement besoin de vous. » Il acquiesça et déboucla sa ceinture de sécurité. Ils retournèrent ensemble sur les lieux du drame.
C’était un commandant de bord avec quatre galons, entraîné et qualifié pour affronter tous les aléas susceptibles de survenir en cours de vol. Mais ce qu’il constata était si différent de la centaine de simulations qu’il connaissait.
Une palette de couleurs psychédéliques qui se rependait sur le sol. Alors qu’une épaisse fumée de dirigeait vers la cargaison d’ananas qui remplissait la carlingue du cargo.
Sa réponse fut étonnante et paternelle : « Ne t’en fait pas fiston, on va nettoyer tout ça » dit-il en mettant la main sur l’épaule de son second. A moins que ce ne soit : « on s’écrasera tous au sol avec l’avion. » L’heure était donc grave. Puis, découvrant la cuvette qui pétillait et débordait toujours, il ajouta doctement «Amusant, on dirait qu’elle a une tête n’est-ce-pas ? » Mac Mahon n’aurait pas fait mieux. Mais qui connait Mac Mahon aux États-Unis ?
Que faire ? Alors la solution tant redoutée, traversa brièvement l’esprit de Patrick. Une décision du genre à oublier immédiatement.
L’isolation de la cabine qui nous séparait de l’atmosphère extérieure lui semblait tout d’un coup bien fine. Alors, il pensa pourquoi ne pas arracher les panneaux rivetés en aluminium, le vent pourrait s’engouffrer avec force dans la cabine. Causant une dépressurisation explosive susceptible de tuer le premier et le seul aviateur de l’histoire ayant fait déborder les toilettes d’un avion.
On se console comme on peut en estimant que personne n’apprendrait l’horrible et peu reluisante vérité. Que les preuves seraient pulvérisées avec les morceaux de l’épave de l’avion dans l’océan.
Pensant à Saint Exupéry, il fut saisit d’une fulgurance mystique. Peut-être que lui-aussi avait explosé les toilettes de son avion.
Piètre et désespérée consolation. Nous la mettrons sur le compte de la situation qui semblait délicate.
Il fut immédiatement rappelé à la réalité par le commandant de bord qui ordonna avec autorité : « Appelez le contrôle aérien, contactez la maintenance pour leur dire ce qui nous arrive. » Ainsi fut-il fait. Il avança son pronostic et pensa avec amertume à tous les pilotes chevronnés aux commades de Boeings 777 flambant neufs alors que les passagers écoutaient du Mozart dans leurs écouteurs hifi.
Alors que nous, trois pauvres âmes volant quelque part dans la nuit noire, étions piégés dans un enfer scatologique bleuté à bord d’une relique datant de la guerre froide. La vie est mal faite se dit-il.
Une voix grésillante retentit : « Vous dites que vos toilettes ont explosées ? » – « Explosé, peut-être pas au vrai sens du terme. En fait, il n’y a personne en dessous de la cabine qui risque de s’en plaindre… A vous, merci. »
De son côté, toujours dans l’action, le commandant de bord avait empoigné le tuyau de l’extincteur de bord qui avait un embout métallique percé. Il poussait frénétiquement cette pièce dans la cuvette pour tenter d’arrêter le bouillonnement continu du liquide bleu. Au bout de plusieurs longues minutes, après qu’une bonne cinquantaine de litres se soit répandue sur et sous le plancher des toilettes l’avion lui, continuait sa route imperturbablement.
Rien de fâcheux ne se produisit et le vol put atterrir normalement à destination. Les « plombiers » étaient sains et saufs.
Ils purent aller se reposer tranquillement.
Le lendemain, tous les employés du fret voulurent entendre les explications de l’équipage ponctués par les commentaires ironiques des mécaniciens qui avaient reçu l’appel de détresse.
Tous voulaient connaitre l’histoire de l’idiot qui avait versé de la neige carbonique dans la cuvette des toilettes et dont les chaussettes avaient été abimées. Le total des dommages s’est finalement élevé à une centaine de dollar et les panneaux des toilettes et des placards ont été profondément et définitivement teints en bleu des mers du sud. Le souvenir d’une tranche de vie.
Suprême humiliation, le chauffeur du bus qui les conduisait à l’avion leur dit d’un air goguenard lorsqu’ils descendaient de son véhicule ? « Alors, les toilettes, c’était vous n’est pas ? »
François Teyssier
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