Il n’est pas inutile de rappeler brièvement la relation que le transport aérien entretient avec le circuit de distribution. Dès le début des opérations, les agents de voyage se sont avérés être des intermédiaires indispensables. La profession est d’ailleurs largement antérieure à celle des compagnies aériennes. Elle date en gros du milieu du 19 ème siècle avec le regretté Thomas Cook Voyages dont la création date du 5 juillet 1841 et la fin le 23 septembre 2019. Bref lorsque les compagnies aériennes ont développé leur produit, elles se sont naturellement tournées vers des distributeurs reconnus.
A cette époque, disons entre 1945 et 1978, les tarifs étaient complètement encadrés par les conférences de IATA où les compagnies s’entendaient entre elles pour pratiquer les mêmes prix.
Durant cette époque les compagnies commissionnaient très naturellement les agents de voyages : 9% pour les transports internationaux et 7 % pour les trajets domestiques. Et puis les pratiques ont évolué une fois adopté de « deregulation act » américain en 1978, qui libéralisait les tarifications.
A peu près à la même époque les grands transporteurs ont créé leurs propres outils de distribution électroniques : les GDS. Formidable invention qui a permis de transformer en incroyable business des liens informatiques déjà créés par les compagnies aériennes et les agences de voyages. Ainsi Alpha 3, le système de réservation électronique d’Air France largement installé dans les agences de voyages et capable d’afficher gratuitement les vols de la quasi-totalité des transporteurs, a été remplacé par Amadeus dont Air France est l’un des fondateurs, sauf qu’à partir de ce moment-là, les compagnies hébergées ont commencé à payer des sommes conséquentes aux GDS, de l’ordre de 3 US dollar par passager/segment.
Rapidement les GDS se sont consolidés et imposés comme un outil de distribution indispensable. C’est alors que les compagnies aériennes ont revendu très cher ce qui ne leur avait finalement pas coûté grand-chose. Seulement les fonds d’investissement n’ont pas tardé à monter singulièrement les tarifs qui sont arrivés jusqu’à 7 dollars le passager/segment.
Le business est très profitable à la condition que les agents de voyages l’utilisent. C’est eux qui le font tourner. Et pour ce faire, les GDS leur ont rétrocédé une part de leurs encaissements. Les compagnies aériennes apprécient modérément.
Alors, suite à la généralisation de la billetterie électronique, on a vu fleurir une nouvelle forme de distribution les fameux OTAs (Online Travel Agents). Leur modèle consiste à capter, essentiellement via les GDS, toutes les possibilités de réservation et de tarifs, à les mettre en forme et à les envoyer sur le marché vers tous les agents de voyages ou clients directs.
Pour ce faire ils doivent afficher des tarifs très compétitifs. C’est au fond leur valeur ajoutée principale. Alors ils sont arrivés jusqu’à vendre en dessous de leur prix d’achat, en réalisant leur revenu sur les rétrocessions en provenance des GDS et des « incentives » consentis par les compagnies aériennes.
Ils ont prospéré. Les très gros réalisent plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires : 11, 2 pour Expedia, 2,5 milliards pour Travelport etc…
L’arrivée des possibilités de transaction par Internet leur permet de vendre à travers le monde entier. Finalement pour les compagnies aériennes, c’est la double peine : d’une part elles sont amenées à consentir d’importants avantages aux OTAs qui s’en servent pour faire baisser encore les tarifs le tout sans maîtriser les marchés car les ventes peuvent être effectuées dans n’importe quel point du globe.
Ainsi même IATA est incapable de vérifier la fiabilité économique de ces acteurs dont souvent l’organisation est atomisée entre plusieurs pays et
nombre de filiales. Alors lorsque l’un d’entre eux dépose son bilan, c’est la catastrophe assurée. 75 millions de dollars de passif par exemple en Grèce pour un OTA apparemment en bonne santé mais qui appartenait en fait à une cascade de sociétés allant de la Roumanie à l’Allemagne puis les Pays- Bas pour terminer aux British Virgin Islands.
Les compagnies aériennes commencent sérieusement à s’alarmer. Elles veulent récupérer la maîtrise de leur distribution et elles ont horreur qu’un intermédiaire fasse son profit sur leur produit dans lequel elles seules supportent les investissements et les charges opérationnelles. Certains
transporteurs commencent par ne plus afficher la totalité de l’offre tarifaire auprès des OTAs. Cela ne s’arrêtera pas là, car avec la nouvelle norme NDC, les transporteurs pourront « by passer » les intermédiaires et le BSP et aller directement jusqu’aux agents de voyages IATA ou non.
Pour survivre, les OTAs devront faire évoluer leur modèle. Pas de doute, le temps presse.
Jean-Louis Baroux