Que de bonne nouvelles ces dernières semaines dans les média grand public peu habitués à aborder les sujets liés au tourisme : Thomas Cook garde sa filiale française, Fram refinancé, « le tourisme français résiste à la crise ». Ouf ! Nous sommes sauvés …
Et tous de se réjouir en cœur de cette dernière annonce réconfortante et contrecarrant les prophéties apocalyptiques des analystes sur l’effondrement imminent de l’industrie touristique française.
Certes d’autres informations récentes nuancent cet enthousiasme, et notamment la perte de compétitivité en France qui touche aussi le secteur du tourisme, mais globalement les indicateurs sont en apparence enfin un peu plus au vert.
Méfiance, si l’amalgame peut faire illusion et pallier un temps à l’absence de profondeur dans la réflexion, il ne résiste pas à l’évidence : de quoi parlons-nous quand nous évoquons l’industrie touristique française ? Des 2 millions d’emplois directs et indirects et des 30 milliards de valeur ajoutée du tourisme réceptif … ou des 35 000 emplois et des 2 petits milliards de valeur ajouté du tourisme émetteur qui nous concerne directement ?
Pensez-vous vraiment que notre secteur soit un enjeu majeur pour Mme Pinel, en charge du commerce, de l’artisanat et du tourisme …?
Son apparition éclair à Tenerife ne dupe personne, et malgré les 100 000 euros dépensés par son ministère pour venir nous lire un texte creux, impersonnel et distant, soyons certain que l’avenir des agences et des tours opérateurs n’a d’importance à ses yeux que lorsqu’elle prépare ses propres vacances.
Et encore. M. Colson a le mérite de l’avoir gentiment épinglé sur des sujets concrets et précis, critiques pour certains d’entre nous, mais dernier dossier de la pile pour Mme La Ministre.
Nous sommes une bulle dans une bulle dans une bulle, le sous-sous-sous ensemble d’un ministère fourre-tout où se côtoient Fram et les franchises d’esthéticiennes, l’agence TourDuMonde2000 de Montmirail, l’hôtel Georges V et celui de la gare de Brive la Gaillarde, mon plombier et son coiffeur… chercher l’erreur.
Alors que nos élus retroussent leurs manches pour aller parader en province quand une usine d’Arcelor-Mittal est menacé de fermeture, qui se souci du risque de défaillance d’un Thomas Cook, TUI ou Fram ?
Qui se mobilise pour limiter la casse et la fermeture des agences en difficultés ?
Imaginez vous un débat à l’assemblée sur la possible nationalisation de l’agence de voyages du coin de la rue désertée par ses clients plus enclins à réserver sur leur IPad qu’à faire la queue devant un comptoir d’agence ?
Les délocalisations industrielles sont tout aussi inévitables que les mutations des modèles de distribution du tourisme, mais elles sont beaucoup plus spectaculaires et méritent donc à ce titre plus de considération. Debord n’en fini pas d’avoir raison.
Alors soyons réaliste, personne ne se soucie de nous, de nos emplois, de nos entrepreneurs, ou de nos syndicats.
Nos clients sont bien plus protégés que nous… Personne donc, et pas même nous.
La solidarité institutionnelle à fait long feu, et la création officielle d’un syndicat des tours opérateurs en témoigne.
Des intérêts divergents et une représentativité plus pertinente auprès des institutions européennes auraient motivé cette initiative.
Permettez-moi d’en douter. J’y vois plutôt un mélange d’égo et de déception.
Ego parce que chacun de nos dirigeants ayant atteint l’age de la retraite de leur retraite rêvent de représenter notre profession jusqu’à en mourir sur scène.
Alors plutôt que de se frotter à l’existant, de renverser ceux que tous critiquent dans les salons et flattent dans les congrès, plutôt que de se présenter contre le calife pour prendre une place que finalement personne ne veux de peur de ne pas savoir faire mieux, alors on crée un autre califat, on fait sécession et on trouve des prétextes intellectuellement satisfaisant.
Voilà, nous étions déjà le cadet des soucis du gouvernement, maintenant nous somme deux demi-cadets pas foutus de s’entendre.
Trois même en fait, puisque l’absence des agences internet au SNAV, regroupées au sein de LEVEL, était déjà une absurdité sectorielle.
Bravo la solidarité.
Et pourtant les TO distribuent et les Distributeurs produisent, de plus en plus, et tout le monde s’accorde à dire qu’il à peu à peu fusion des métiers…et scissions des représentations !
Voilà pour la solidarité institutionnelle, mais je vous rassure, la solidarité entre entreprises du secteur n’est pas en reste.
Heureusement certains sont conscients des difficultés collectives et accompagnent au mieux ceux qui les distribuent, leurs partenaires, ou s’entraident entre agences pour faire front, mais quand on voit avec quel mépris certains sous-chef en mal de pouvoir dans les grands groupes traitent les distributeurs avec qui ils travaillent, c’est à se demander s’ils ne se prennent pour des fonctionnaires inconscients du déficit qu’ils contribuent tous les jours à creuser.
Mais c’est vrai, j’oubliais, quand on perd 50 millions d’euros on est sans doute beaucoup plus respectable que quand on en perd 50 mille.
Je me souviens de la réponse de Bernard Tapie à un journaliste qui lui demandait comment il arrivait à dormir avec un milliard de dettes : « vous, jeune homme, avec vos 8 000 francs de salaires, quand vous avez 2 000 francs de découvert vous ne dormez pas, et bien moi, avec mon milliard de dette c’est mon banquier qui ne dors pas ! ».
Alors comment travailler ensemble à soutenir l’activité générale du secteur, préparer l’avenir, et s’entraider ?
Innover en matière de solidarité sectorielle n’est pas une mince affaire.
Entre les considérations concurrentielles, l’individualisme naturel (et sans doute obligatoire) des entrepreneurs, le poids de la notion de réseau ou d’enseigne, et la gestion des priorités qui en période de crise stimule la tendance à se concentrer sur l’essentiel, il reste peu de place pour le rapprochement.
Pourtant quelques pistes sans prétentions mais qui valent la peine d’être tentées pourraient être explorées, certaines très opérationnelles (GIR, départ locaux, bases d’informations communes), d’autres plus stratégiques (communication commune, anticipation, partage d’expertises, …).
Coté opérationnel des initiatives existent mais pourraient être industrialisées. De nombreuses agences de voyages indépendantes produisent des GIR.
Que ce soit pour aller faire le marché de noël à Strasbourg ou pour un circuit en Asie, elles programment à date fixe des voyages qu’elles commercialisent localement à une clientèle d’habitués.
Cette production, alternative à celle des TO et souvent plus proche de la demande locale des clients, pourrait être proposée aux autres agences de la région.
Bien entendu, cela signifie une certaine perte « d’excusivité » du produit. Mais soyons réaliste, les produits sont le plus souvent relativement standards et la valeur ajoutée de l’agence réside plus dans sa capacité à fidéliser un client qu’à produire des séjours originaux (et plus difficile à vendre).
Mettre en commun les GIR produits par les agences permettrait non seulement d’ecouler les quelques places restantes pour completer le groupe ainsi consituté mais aussi de créer un véritable catalogue de produits locaux et de mettre en commun des moyens de communications plus efficaces que ceux d’une agence isolée, quelques soit les appartenances aux réseaux, dans une optique transversale.
Pour compléter cette opportunité, et après une période de « rodage » sur une ou deux saisons, il sera possible d’anticiper la demande sur les saisons suivante et, comme cela existe déjà parfois, affréter au départ de la région en regroupant les demandes prévisionnelles des agences ayant mis en commun leurs produits.
Mais cela nécessite une certaine anticipation et réflexion préalable commune. Les SNAV régionaux pourraient en être les initiateurs. Au sujet de l’anticipation, il est regrettable que les TO ne consultent pas plus les agences en amont de leur production.
Bien qu’ils se basent sur les ventes passées et determinent empiriquement leurs productions et leurs engagements sur les saisons à venir, la tradition est tout de même de sortir un catalogue et d’aller ensuite à la rencontre des agences pour les former et les motiver, jamais l’inverse…
Si les TO consultaient les agences avant la saison, ils auraient sans aucun doute une bien meilleure idée du marché, en l’analysant avec ceux qui sont au quotidien en contact direct avec les clients. Pourquoi ne pas créer un pannel, comme c’est le cas pour les statistiques « passées », de distributeurs, et même pourquoi pas en y incluant certains de leur clients volontaires, qui permettrai en étant régulièrement consultés de déterminer des tendances à venir, des retournements de tendances prévisibles, des analyses plus fines des intentions prévisionnelles des clients, et d’adapter ainsi la production et les engagements ?
Autre idée finalement simple à mettre en place mais peu développée plus pour des motifs plus culturels que techniques : la mise en commun des expertises.
Il n’est pas nécessaire de rappeler que les clients sont maintenant très bien renseignés avant de pousser la porte d’une agence ou de commander sur internet.
Face à cela chaque agent maîtrise quelques destinations et thématiques, mais forcement par tout.
Alors plutôt que de perdre une vente par manque de connaissances, pourquoi ne pas créer une base de données uniquement BtoB des expertises des agents de voyages pour pouvoir se faire aider par un confrère plus expert que soit, peu importe qu’il s’agissent d’un agent d’une enseigne concurrente ?
A quel titre et moyennant quelle rémunération ? Aucune… à charge de revanche, je te fait gagner un dossier, tu me feras peut être gagner le suivant…
Dans cet esprit, les systèmes existent, comme Travelport Opinions by Vinivi (version BtoB des sites de commentaires de voyageurs), mais ne sont malheureusement pas assez utilisées alors qu’ils sont essentiels pour les agents.
Quand deux personnes ont un bien et se l’échange, ces deux personnes ont toujours un bien. Quand elles s’échangent une idée, elles ont chacune deux idées…
A bon entendeur.
Pierre-André Romano