Le phénomène des alliances dans le transport aérien est tout de même très étrange. Voilà une industrie créée sur la base d’une coopération entre tous les transporteurs, par la convention de La Havane qui en avril 1945, ce n’est pas d’hier, a engendré IATA.
En clair les transporteurs ont été engagés à échanger leurs titres de transport afin de proposer à leurs clients le plus grand réseau possible. C’est ainsi qu’avec seulement les accords dits « Interline » une compagnie peut émettre ses propres billets lesquels seront acceptés au transport par un autre transporteur à la seule condition qu’ils aient signé entre eux ces fameux accords.
Chaque compagnie un peu importante est ainsi à même d’échanger ses billets avec au moins une centaine d’autres. Mais cela n’a pas suffi.
Pendant l’âge d’or des années 1970, avant que le Président Carter n’initie la déréglementation en 1978, les compagnies passaient entre elles des accords de « pool », mettant en commun sur certains axes, les dépenses et les recettes. Rappelons qu’à l’époque, les tarifs étaient contrôlés sévèrement par IATA et malheur à la compagnie qui vendait ses billets en dessous du tarif autorisé.
Autres temps, autres mœurs. La déréglementation tarifaire a engendré une guerre économique sans pitié entre les transporteurs et la mise sur le marché d’une foultitude de tarifs engendrés par le « yield management » lesquels n’ont pour but que de noyer le poisson vis-à-vis des clients. Et la
concurrence s’est installée durablement.
Elle a même engendré un nouveau concept de transport aérien avec les désormais incontournables « low costs ». Bref, c’est à qui affichera maintenant le tarif le plus bas pour attirer le chaland tout en essayant de garder la recette la plus élevée. Voilà ce qui explique à la fois le développement des « ancilliary services » et le NDC (New Distribution Capability).
Ce dernier deviendra d’ailleurs la norme d’ici à 3 ans.
Autant dire que la bagarre est farouche dans tous les marchés. C’est même une lutte pour la survie.
Nombre de transporteurs, y compris des très gros ne résistent pas en effet à cette concurrence exacerbée et disparaissent tout simplement. La liste est longue des grands noms liquidés : Pan Am, TWA, Swissair, Ansett, Varig, pour n’en citer que quelques-uns.
Alors, conscients qu’ils ne pouvaient pas couvrir tous les marchés, les grands transporteurs ont cherché à protéger et étendre leur zone de chalandise en créant les alliances.
En fait seules 3 grands ensembles ont résisté jusqu’à présent : OneWorld, Star Alliance et SkyTeam. Ensemble ils regroupent autour de 70 compagnies et sont censés contrôler au moins 75 % du marché.
Seulement cela n’a surtout pas empêché les membres d’une même alliance de poursuivre la concurrence avec leurs partenaires. Les exemples sont légion, on dirait même que c’est devenu la norme.
Ainsi au sein de la Star Alliance,Turkish Airlines et Lufthansa se livrent un combat acharné, même si par ailleurs les deux protagonistes se sont mis d’accord pour contrôler un transporteur « low cost ».
Alors il a fallu aller encore plus loin et c’est ainsi que sont apparues les « joint-ventures », concept un peu sophistiqué mais qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux anciens accords de pool. Il s’agit de contrôler les axes les plus juteux et pour ce faire arrêter les guerres tarifaires. Voilà ce qui arrive sur l’axe transatlantique par exemple. Celui-ci constitue et de loin l’ensemble de routes le plus économiquement juteux.
Ainsi Air France/KLM et Delta Air Lines ont monté une « joint-venture » dont l’un et l’autre se déclarent très satisfaits.
Mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là. Pour mettre la main sur Virgin Atlantic dont Delta Airlines qui détenait 49 % des parts, ce qui ne lui confiait pas le contrôle d’un opérateur certes secondaire mais qui détient de très intéressants créneaux horaires sur l’aéroport le plus encombré du monde Londres Heathrow, a demandé à son partenaire dans la « joint-venture » d’acheter 31 % du capital pour un montant de 240 millions d’€, somme dont Air France ne disposait pas.
Alors, pour accéder aux demandes de Delta Air Lines, le groupe Franco-Néerlandais lui a vendu 8,8 % de son capital. C’est ainsi que, partant d’un contrôle du marché, on peut se retrouver au capital d’un partenaire et, accessoirement peser sur la nomination de son dirigeant…
Où s’arrêtera cette stratégie ? A priori, personne ne peut miser sur un ralentissement de ces rapprochements. Mais que se passera-t-il si l’un des acteurs de la « joint-venture » décide de changer sa politique et devient concurrent de son partenaire ?
Emirates, le plus important transporteur international a clairement indiqué sa volonté de n’entrer dans aucune alliance… et cela lui a plutôt bien réussi, non ?
Jean-Louis Baroux