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Tunisie : Le marché français face à ses responsabilités

Devant l’amphithéâtre d’El Jem baigné de lumière, on ne se bouscule pas.

Les quelques touristes venus découvrir le Colisée (le plus grand du monde romain après ceux de Rome et de Capoue) sont majoritairement russes.

Installé devant son échoppe de souvenirs, Nejib hausse les épaules. « Ils n’achètent pas, mais heureusement qu’on les a, parce que sinon il n’y aurait personne… »
Fataliste, le jeune vendeur garde son sourire même si l’on devine en l’écoutant que la situation est grave.

Alors que le beau temps règne ici et que les températures enregistrées ont de quoi rendre jaloux ceux qui sont confrontés au froid et à la pluie en France, le baromètre du tourisme tunisien, lui, est encore à la baisse !
Après les cinq premiers mois, l’année 2013 s’annonce catastrophique en particulier si cet été le marché français ne connait pas de sursaut.
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Le nouveau ministre du tourisme, Jamel Gamra, reconnaît que l’on est loin des objectifs.

En 2010, avant la Révolution, 1,4 M de français se rendaient en Tunisie.
La fréquentation a chuté de prés de 35 % l’an dernier et les premiers chiffres de 2013 sont loin d’inverser la tendance.

Le soutien attendu des touristes français : moral, économique et primordial !

Pourtant, Jamel Gamra multiplie les appels en direction des français. Le bureau parisien de l’Office National Tunisien du Tourisme fait feu de tous bois et organise de nombreux voyages de presse afin de permettre aux médias de juger sur place -et en toute liberté- que la situation est calme et le pays sécurisé.

Mais rien ne semble y faire.
L’assassinat d’un opposant anti-islamiste, l’attaque de l’Ambassade des États Unis et plus récemment les affrontements dans une banlieue de Tunis ont pesé en termes d’images.
La tournure et le parti pris de quelques sujets diffusés sur les chaines françaises, mais aussi la peur -entretenue parfois- d’une minorité islamiste ayant une interprétation extrémiste de l’islam ont fait beaucoup de mal selon les tunisiens.

« C’est vrai que sans les français, on va passer un été difficile» avoue Habib Bouslema, patron du magnifique complexe Nahrawess à Hammamet.
Mais celui qui préside aussi la Fédération des Hôteliers du Cap Bon ne mâche pas ses mots et entend placer chacun devant ses responsabilités.

« L’économie touristique pèse énormément dans notre pays et fait vivre des dizaines de milliers de familles. C’est simple, en nous marginalisant on nous amène à des fermetures d’hôtels et de prestataires, et par effet direct, à la mise au chômage de milliers de jeunes. Des jeunes qui seront dés lors des proies toutes trouvées pour les barbus… »

Le message est on ne peut plus clair. Et renvoie chacun à ses responsabilités.

Tous les professionnels du tourisme rencontrés cette semaine à Tunis, Sousse, Port El kantaoui ou Hammamet, tiennent (de façon plus nuancée parfois) le même discours.
Le marché français doit moralement et économiquement soutenir la Tunisie alors que celle-ci se trouve à un tournant de son histoire.

Ici, on ne sait pas vraiment de quoi sera fait demain  mais chacun refuse d’injurier l’avenir.
L’instauration prochaine d’une nouvelle Constitution, l’élection d’un Président et d’un nouveau Parlement sont attendues avec une fébrile mais réelle impatience.

Pour l’heure, en ce mois de mai et pour avoir sillonné les principaux sites touristiques du pays, de Carthage à Djerba, une chose est sûre, il n’y a aucun problème de sécurité !

L’accueil des Tunisiens est toujours aussi chaleureux et l’offre touristique va en s ‘améliorant. Car les dirigeants tunisiens sont bien décidés à privilégier la culture et le patrimoine comme atouts au même titre que le balnéaire, le golf ou la gastronomie.
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Ainsi, après trois années de rénovation et d’extension, le Musée National du Bardo à Tunis  vient d’accueillir ses premiers visiteurs. Encore plus attractif à nos yeux, le nouveau Musée Archéologique de Sousse, installé dans la Kasbah. Une vraie réussite avec un travail de muséographie qui met vraiment en valeur une remarquable collection de mosaïques.


La chaîne d’hôtels Hasdrubal résiste grâce à ses « fidèles » … clients

Il faut bien reconnaître qu’il est déprimant de descendre dans des hôtels dont on se rend bien vite compte que le taux d’occupation varie de de 20 à 30 % dans les meilleurs des cas.
Et ce alors, répétons le, que tout est prêt -météo comprise- pour accueillir les touristes.

Après un coupable relâchement postrévolutionnaire qui s’était traduit dans les hôtels par une baisse de qualité et dans la rue par une saleté envahissante, les tunisiens semblent s’être repris en mains.
M. Gamra a beaucoup insisté sur la nécessité d’améliorer les prestations de service ainsi que la propreté dans les villes.
Les grandes préoccupations des professionnels du secteur, telles que le dossier fiscalisation ou celui de l’open Sky, attendront un peu.

Dans ce contexte nous nous sommes intéressés à un cas particulier, celui des hôtels de la chaîne tunisienne Hasdrubal dirigée par Raouf Amouri, digne fils de son paire Mohamed, pionnier de l’hôtellerie de luxe. Une chaîne qui possède quatre établissements et dont la notoriété tient entre autres à son savoir-faire et à ses innovations dans le monde de la thalasso.

A Port El Kantaoui, le 4 étoiles qui étire sa végétation luxuriante jusqu’à la mer est l’un des rares établissements où le soir lors du dîner le silence ne se fait pas envahissant.
Avec un hôtel occupé à 50% de sa capacité -qui est de 234 chambres standard, 4 junior suites et une suite présidentielle- le Directeur Général, Charfeddine Mokhtar, reconnaît être un peu mieux loti que nombre de ses camarades.
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D’autant que la clientèle est ici majoritairement française, complétée par des belges et des suisses.
A cela une explication selon M. Mokhtar: le fruit d’un long travail de fidélisation entrepris depuis des années.

Hasdrubal a toujours fixé comme priorités la qualité du service et des prestations, ainsi que le devoir de considérer le client comme un invité que l’on reçoit à la maison.

« Notre concept de fidélisation est bien ancré. Nous avons tout au long de la semaine des opérations -cocktails, dîner de gala, remises de décorations- spécialement dédiées à ceux qui nous font le plaisir de revenir séjourner chez nous… sans oublier des réductions» poursuit Charfeddine Mokhtar.

Et visiblement ça marche.
A voir déambuler les clients au bord de la piscine ou en direction du centre de thalassothérapie (de 5 500 m²), on se rend vite compte qu’ils sont « à la maison ».
D’autant que le personnel est lui aussi fidélisé, les 180 personnes -dont 80% employées à l’année- ayant souvent tissé des liens d’amitié avec leurs clients…

Alors c’est vrai que l’Hasdrubal Port El Kantaoui comme les autres établissements de la chaine, demeure loin des magnifiques taux d’occupation qui étaient les siens avant janvier 2011. « Mais nos clients français nous le disent : on sait que la Tunisie vit des moments difficiles, et c’est de notre devoir de la soutenir ! »

Loin des discours de soutien des cercles intellectuels au cœur des salons parisiens, la réaction de ces français amoureux de la Tunisie et qui continuent de venir y séjourner, est un gage d’espoir.

Dans une famille, c’est quand cela va mal pour l’un des membres que l’on se doit d’être présent et solidaire.
Pour le reste, le message qu’a tenu à adresser Charfeddine Mokhtar aux médias français est simple : « Dîtes bien que le nouvel exercice de la démocratie n’est pas chose facile et que nous faisons notre apprentissage. Mais surtout témoignez de ce qui reflète la réalité de la Tunisie. »

De Tunisie pour La Quotidienne,
Jean BEVERAGGI
Photos JB